4. Conclusion
Au cours de cette étude, nous avons tenté de démontrer notre capacité à repérer un thème de recherche original et contemporain. La théorie émergente de la firme processeur de connaissances et les nouvelles théories des organisations ont crée un vif débat autour de la connaissance comme objet de recherche. Nous avons tenté de présenter une synthèse logique de ces théories tout en les confrontant à la réalité de la vie des entreprises.
Ainsi, nous avons appris que la connaissance a toujours été une ressource stratégique pour une organisation, quelque soit sa taille. Une entreprise possède, sans s’en rendre compte, des connaissances sous des formes multiples. Mais de sa position de détentrice, elle doit devenir actrice et orchestrer ses connaissances si elle veut assurer une création optimale de sa valeur immatérielle.
Au constat quelque peu dépité des grandes entreprises françaises que nous avons exposé dans notre introduction, il n'apparaît aucune méthodologie satisfaisante pour l'évaluation de la valeur du capital immatériel ou intellectuel, ni du ROI et des gains potentiels qui peuvent être formellement attendus après une  démarche de gestion des connaissances, nous répondons qu’il ne faut pas attendre une one- best-way dans ce domaine, tant la connaissance est affaire d’individus, d’immatériel ou de contextualité. Il faut, au contraire, construire des supports heuristiques au cas par cas pour faire apparaître l’invisible et se coiffer d’un nouveau « chapeau pensant ». Nous répondons également qu’il faut repenser la performance que l’on peut attendre d’un projet de management des connaissances. Appliquer un indicateur comme le ROI sur ce type de projet présente, selon nous, un intérêt limité. 
Notre expérience professionnelle dans ce domaine nous a montré qu’il est nécessaire de tempérer ses ambitions pour manager les connaissances. Il vaut mieux commencer sur de petits projets pilotes que sur une vaste stratégie bottom- up qui force les individus à extérioriser ou intérioriser leurs connaissances. Souvent assimilée à la mise en place d’outils de partage d’information, cette discipline souffre de l’influence de l’école américaine qui est très orientée sur la technologie et l’information. L’école japonaise fondée par Nonaka est, elle, très marquée par la culture japonaise où l’individu laisse souvent la place au groupe. Une troisième voie, la voie européenne, est la nôtre. Elle met en valeur la dimension humaine du management des connaissances en utilisant à bon escient les technologies de l’information.
Nous pensons que l’influence de la dimension technologique ne doit pas être perçue comme un frein à la valorisation des connaissances. Beaucoup de porteurs de projets matérialisent leurs initiatives de capitalisation et de diffusion des connaissances dans des outils de partage de l’information afin de valoriser concrètement leur apport dans leur entreprise. C’est la tyrannie de la boîte à outils, du dernier ouvrage de recettes à la mode, d’un savoir qui se veut "sophistiqué" quand on attend un peu de sens pratique (Baumard, 1995). Nous défendons également cette approche pragmatique. Celle d’une firme à la fois processeur d’information et processeur de connaissances. Celle d’une entreprise déconcertée qui cherche à comprendre comment améliorer son fonctionnement et sa capacité d’innovation.
Mais ne nous y trompons pas : l’enjeu du management des connaissances n’est pas un enjeu facile à défendre en entreprise. Confronté à la tyrannie du court-terme et à une croissance économique plutôt molle, le marché du management des connaissances n’est pas florissant. Les freins que s’imposent elle-même cette discipline en est peut-être la cause. Pourtant, avec la mise en place d’initiatives visant à favoriser l’identification, la capitalisation, la diffusion et la création de connaissances, les organisations commencent à valoriser ces connaissances disponibles dans et hors de ses frontières. Elles peuvent alors améliorer le fonctionnement de leur structure interne, renforcer leurs liens avec la structure externe et augmenter la capacité d’action et de décision de leurs employés. Les organisations qui ont basé leur stratégie sur leurs connaissances vont alors se constituer le portefeuille intellectuel le plus adéquat possible. Des méthodes de valorisation sont apparues dans les années 90 pour rendre compte de la valeur de ce capital : les bilans en trois parties (Edvinsson & Malone), les tableaux de bord prospectifs (Kaplan & Norton) ou encore les modèles décrivant les interactions de connaissances entre les structures (Sveiby). Ces méthodes représentent une première approche pour augmenter la visibilité de l’entreprise sur ses actifs immatériels.
Mais cette valorisation se heurte à une double difficulté :
- une difficulté théorique : les outils et les normes de gestion qui rendent compte de la valeur des ressources, principalement immatérielles, ne sont aujourd’hui pas adaptés. La recherche en sciences de gestion est encore jeune en la matière mais il semble que cette situation peut évoluer favorablement dans les années à venir. Malheureusement, de nombreux chefs de projet utilisent des indicateurs de mesure de la performance qui ne conviennent pas aux ressources immatérielles (comme le ROI). D’où la grande confusion qui règne dans ce secteur et le manque de résultats affiché par les services de management des connaissances. Il devient donc urgent de se doter d’une méthode d’évaluation stable et reconnue par tous. Le développement de la théorie des organisations basée sur la firme processeur de connaissances est un signe encourageant.
- une difficulté pratique : les porteurs de projets de management des connaissances arrivent très rarement à expliciter les gains pour l’entreprise en raison du caractère immatériel de la connaissance. Ce type de processus ne prouve son apport qu’a posteriori et non grâce à de « rocambolesques » retours sur investissement. L’utilisation de récits, d’histoires d’entreprises et d’anecdotes portant sur l’utilisation effective de l’information par tel ou tel employé peut alors permettre de valoriser pleinement le management des connaissances aux yeux de la Direction. Cela passe avant tout par des initiatives limitées dans leur taille mais également dans leur ambition.
     D’autant plus que gérer les connaissances représente de nombreux coûts :
    • pour l’individu, il s’agit d’un coût d’apprentissage nécessaire pour assimiler et codifier les informations et les connaissances qu’il reçoit ;
    • pour les équipes de travail, il s’agit d’un coût de coopération qui est déterminé par le niveau de quantité et de qualité des flux de partage des connaissances ;
    • pour l’entreprise, il s’agit d’un coût de coordination des processus et des organisations à mettre en place pour favoriser la gestion des connaissances à l’ensemble de l’organisation.

En face de ces coûts, les bénéfices quantitatifs sont très difficiles à évaluer. En revanche, les bénéfices qualitatifs sont nombreux et permettent de valoriser l’apport du management des connaissances à la performance globale de l’entreprise...à condition de considérer la performance sous un angle autre que la performance financière. Les communautés de pratiques, par exemple, semblent être le meilleur moyen pour abaisser les coûts de gestion d’une équipe de travail. Auto- entretenues, elles permettent de laisser se capitaliser, se diffuser et se transformer les connaissances au sein d’un groupe d’individus. Elles semblent aujourd’hui l’alternative la plus efficace et la plus rapide à mettre en oeuvre pour valoriser les connaissances.
          La valorisation des connaissances nécessite donc la mise en place de conditions favorisant la combinaison des savoirs humains et de l’information circulant dans l’entreprise, les équipes, les partenaires, les clients et les individus. La théorie des organisations de la « knowledge based view of the firm » doit donc examiner de près l’aptitude de l’entreprise à transformer ses connaissances, de façon aussi facile et souple que possible, en produits et services recherchés par la clientèle. Cela nécessite de considérer non plus les stocks de connaissances, d’informations ou d’actifs immatériels mais d’étudier leurs flux d’échange pour en comprendre leur valeur. Cela nécessite de se pencher à la fois vers le passé, le présent et le futur de l’entreprise. C’est dans l’utilisation et dans les échanges internes et externes à l’entreprise que se génère la valeur d’un bien immatériel et c’est ce que nous tenterons de démontrer dans notre thèse. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé notre réflexion par les propos de Paul Valéry ; nous pensons que  l’intelligence d’une organisation se voit à l’usage qu’elle fait de son information et, a fortiori, de ses connaissances. Valoriser le management des connaissances, c’est donc valoriser l’intelligence d’une entreprise et de sa relation avec les autres...et ça, ça n’a pas de prix !

« L’intelligence d’un homme se voit à l’usage qu’il fait de ce qu’il sait. C’est un produit à considérer :
Savoir X Intelligence = Valeur »

Paul Valéry
Propos sur l’intelligence                                  
Editions A l’enseigne de la porte étroite, 1926