Au cours de cette étude, nous avons tenté de démontrer
notre capacité à
repérer un thème de recherche original et contemporain. La théorie émergente de
la firme processeur de connaissances et les nouvelles théories des organisations
ont crée un vif débat autour de la connaissance comme objet de recherche. Nous
avons tenté de présenter une synthèse logique de ces théories tout en les
confrontant à la réalité de la vie des entreprises.
Ainsi, nous avons appris que la connaissance a toujours été
une ressource
stratégique pour une organisation, quelque soit sa taille. Une entreprise possède,
sans sen rendre compte, des connaissances sous des formes multiples. Mais de
sa position de détentrice, elle doit devenir actrice et orchestrer ses connaissances
si elle veut assurer une création optimale de sa valeur immatérielle.
Au constat quelque peu dépité des grandes entreprises
françaises que
nous avons exposé dans notre introduction, il n'apparaît aucune méthodologie
satisfaisante pour l'évaluation de la valeur du capital immatériel ou intellectuel,
ni du ROI et des gains potentiels qui peuvent être formellement attendus après
une démarche de gestion des connaissances, nous répondons quil ne faut pas
attendre une one- best-way dans ce domaine, tant la connaissance est affaire
dindividus, dimmatériel ou de contextualité. Il faut, au contraire, construire
des
supports heuristiques au cas par cas pour faire apparaître linvisible et se coiffer
dun nouveau « chapeau pensant ». Nous répondons également quil
faut
repenser la performance que lon peut attendre dun projet de management des
connaissances. Appliquer un indicateur comme le ROI sur ce type de projet
présente, selon nous, un intérêt limité.
Notre expérience professionnelle dans ce domaine nous
a montré quil est
nécessaire de tempérer ses ambitions pour manager les connaissances. Il vaut
mieux commencer sur de petits projets pilotes que sur une vaste stratégie bottom-
up qui force les individus à extérioriser ou intérioriser leurs connaissances.
Souvent assimilée à la mise en place doutils de partage dinformation, cette
discipline souffre de linfluence de lécole américaine qui est très orientée
sur la
technologie et linformation. Lécole japonaise fondée par Nonaka est, elle, très
marquée par la culture japonaise où lindividu laisse souvent la place au groupe.
Une troisième voie, la voie européenne, est la nôtre. Elle met en valeur la
dimension humaine du management des connaissances en utilisant à bon
escient les technologies de linformation.
Nous pensons que linfluence de la dimension technologique
ne doit pas
être perçue comme un frein à la valorisation des connaissances. Beaucoup de
porteurs de projets matérialisent leurs initiatives de capitalisation et de diffusion
des connaissances dans des outils de partage de linformation afin de valoriser
concrètement leur apport dans leur entreprise. Cest la tyrannie de la boîte à
outils, du dernier ouvrage de recettes à la mode, dun savoir qui se veut
"sophistiqué" quand on attend un peu de sens pratique (Baumard, 1995). Nous
défendons également cette approche pragmatique. Celle dune firme à la fois
processeur dinformation et processeur de connaissances. Celle dune entreprise
déconcertée qui cherche à comprendre comment améliorer son fonctionnement
et sa capacité dinnovation.
Mais ne nous y trompons pas : lenjeu du management
des connaissances
nest pas un enjeu facile à défendre en entreprise. Confronté à la tyrannie
du
court-terme et à une croissance économique plutôt molle, le marché du
management des connaissances nest pas florissant. Les freins que simposent
elle-même cette discipline en est peut-être la cause. Pourtant, avec la mise en
place dinitiatives visant à favoriser lidentification, la capitalisation, la diffusion
et la création de connaissances, les organisations commencent à valoriser ces
connaissances disponibles dans et hors de ses frontières. Elles peuvent alors
améliorer le fonctionnement de leur structure interne, renforcer leurs liens avec la
structure externe et augmenter la capacité daction et de décision de leurs
employés. Les organisations qui ont basé leur stratégie sur leurs connaissances
vont alors se constituer le portefeuille intellectuel le plus adéquat possible. Des
méthodes de valorisation sont apparues dans les années 90 pour rendre compte
de la valeur de ce capital : les bilans en trois parties (Edvinsson & Malone), les
tableaux de bord prospectifs (Kaplan & Norton) ou encore les modèles décrivant
les interactions de connaissances entre les structures (Sveiby). Ces méthodes
représentent une première approche pour augmenter la visibilité de lentreprise
sur ses actifs immatériels.
Mais cette valorisation se heurte à une double difficulté :
- une difficulté théorique : les outils et
les normes de gestion qui rendent
compte de la valeur des ressources, principalement immatérielles, ne sont
aujourdhui pas adaptés. La recherche en sciences de gestion est encore jeune
en la matière mais il semble que cette situation peut évoluer favorablement dans
les années à venir. Malheureusement, de nombreux chefs de projet utilisent des
indicateurs de mesure de la performance qui ne conviennent pas aux ressources
immatérielles (comme le ROI). Doù la grande confusion qui règne dans ce
secteur et le manque de résultats affiché par les services de management des
connaissances. Il devient donc urgent de se doter dune méthode dévaluation
stable et reconnue par tous. Le développement de la théorie des organisations
basée sur la firme processeur de connaissances est un signe encourageant.
- une difficulté pratique : les porteurs de projets de management des
connaissances arrivent très rarement à expliciter les gains pour lentreprise en
raison du caractère immatériel de la connaissance. Ce type de processus ne
prouve son apport qua posteriori et non grâce à de « rocambolesques »
retours
sur investissement. Lutilisation de récits, dhistoires dentreprises et danecdotes
portant sur lutilisation effective de linformation par tel ou tel employé peut alors
permettre de valoriser pleinement le management des connaissances aux yeux
de la Direction. Cela passe avant tout par des initiatives limitées dans leur taille
mais également dans leur ambition.
Dautant
plus que gérer les connaissances représente de nombreux coûts :
En face de ces coûts, les bénéfices quantitatifs
sont très difficiles à
évaluer. En revanche, les bénéfices qualitatifs sont nombreux et permettent de
valoriser lapport du management des connaissances à la performance globale de
lentreprise...à condition de considérer la performance sous un angle autre que la
performance financière. Les communautés de pratiques, par exemple, semblent
être le meilleur moyen pour abaisser les coûts de gestion dune équipe de travail.
Auto- entretenues, elles permettent de laisser se capitaliser, se diffuser et se
transformer les connaissances au sein dun groupe dindividus. Elles semblent
aujourdhui lalternative la plus efficace et la plus rapide à mettre en oeuvre pour
valoriser les connaissances.
La
valorisation des connaissances nécessite donc la mise en place de
conditions favorisant la combinaison des savoirs humains et de linformation
circulant dans lentreprise, les équipes, les partenaires, les clients et les
individus. La théorie des organisations de la « knowledge based view of the firm »
doit donc examiner de près laptitude de lentreprise à transformer ses
connaissances, de façon aussi facile et souple que possible, en produits et
services recherchés par la clientèle. Cela nécessite de considérer non plus les
stocks de connaissances, dinformations ou dactifs immatériels mais détudier
leurs flux déchange pour en comprendre leur valeur. Cela nécessite de se
pencher à la fois vers le passé, le présent et le futur de lentreprise. Cest
dans
lutilisation et dans les échanges internes et externes à lentreprise que se génère
la valeur dun bien immatériel et cest ce que nous tenterons de démontrer dans
notre thèse. Cest la raison pour laquelle nous avons commencé notre réflexion
par les propos de Paul Valéry ; nous pensons que lintelligence dune
organisation se voit à lusage quelle fait de son information et, a fortiori,
de ses
connaissances. Valoriser le management des connaissances, cest donc valoriser
lintelligence dune entreprise et de sa relation avec les autres...et ça, ça na
pas
de prix !
« Lintelligence
dun homme se voit à lusage quil fait de ce
quil sait. Cest un produit à considérer :
Savoir
X Intelligence = Valeur »
Paul
Valéry
Propos
sur lintelligence
Editions
A lenseigne de la porte étroite, 1926