2.2.2 Le choix d'une stratégie pour manager les connaissances
La connaissance étant hautement contextuelle, la stratégie à employer pour la manager doit prendre en considération le cadre organisationnel dans lequel nous souhaitons mettre en place le processus. Trois chercheurs de la Harvard Business School (Morten Hansen, Nitin Nohria et Thomas Tierney, 1999) se sont ainsi penchés sur la question en étudiant la stratégie de mise en place du management des connaissances des grands cabinets de consultants au milieu des années quatre-vingt dix. Ils ont distingué deux types de stratégies de management dans ces entreprises : l’une consistant principalement à codifier les connaissances, l’autre consistant à mettre l’accent sur le dialogue entre les consultants. Ce choix dépend de la façon dont l’entreprise sert ses clients, de la situation économique du secteur et du personnel qu’elle emploie (Hansen & al., 1999). Ces stratégies se retrouvent également dans des entreprises d’autres secteurs. Elles ne s’appliquent jamais au détriment d’une autre mais se complètent. Les auteurs constatent que dans la plupart des cas une entreprise choisit de mettre en place à 80% l’une des deux stratégies et de réaliser à hauteur de 20% l’autre stratégie. C’est grâce à une meilleure compréhension de ces deux stratégies que nous parviendrons à définir le type de valorisation que nous souhaitons mener.

C’est la stratégie concurrentielle qui dicte la stratégie de gestion du savoir (Hansen & al., 1999). Pour déterminer cette dernière les auteurs invitent les décideurs à se poser trois questions :

      • Offre-vous des produits standardisés ou des produits sur mesure ?
      • Proposez vous un produit novateur ou un produit mature ?
      • Fait-on appel aux connaissances tacites ou aux connaissances explicites pour résoudre les problèmes de votre société ?

 

OUI

NON
Produits standardisés ?
Privilégier la codification et la réutilisation des connaissances pour abaisser le coût de revient.
Préférer la personnalisation pour améliorer la qualité du service rendu en fonction de demandes variables.
Produit novateur ?
La personnalisation permettra de stimuler l’innovation dans l’entreprise.
Mettre en place le modèle de réutilisation pour optimiser le savoir accumulé autour du produit.
Connaissances tacites mobilisées ?
La connaissance s’acquiert par socialisation entre les individus.
La personnalisation est donc la stratégie à privilégier.
La codification est logiquement mise en place pour partager les connaissance explicitées dans des documents

Le choix d’une stratégie conditionnera bien évidemment le mode d’incitation pour partager la connaissance détenue par les employés. Dans le modèle de codification, les dirigeants doivent développer un système qui les encourage à coucher sur papier ce qu’ils savent et à transférer ces documents sur un support informatique. Le niveau et la qualité des contributions à la base de données font ainsi partie des cinq axes d’évaluation des consultants chez Ernst & Young (Hansen & al., 1999). Dans le cas contraire, les consultants sont évalués chaque année sur l’aide qu’ils ont apporté à leurs collègues. Ces types de rémunérations nécessitent l’implication complète de la Direction Générale, en collaboration avec les Ressources Humaines.
Codification
          Dans la stratégie de codification, les connaissances sont extraites des individus et elles sont retranscrites sur des bases de données en vue d’être transférées et utilisées pour divers objectifs. Les employés ont, à leur disposition, une variété de documents sensés les aider dans leur travail quotidien. L’entreprise se doit de former ses individus à l’utilisation des bases de données et, surtout, à la codification des connaissances qu’ils détiennent. Cette méthode permet à de nombreux intervenants de rechercher et d’extraire des informations codifiées sans devoir contacter la personne qui les avait initialement développées La réutilisation des connaissances permet d’économiser l’effort, de réduire les coûts de communication et de prendre plus de projets chez le client (Hansen & al., 1999). Les consultants se servent de leurs compétences pour élaborer des solutions nouvelles à partir des informations et des solutions existantes.
          Ralph Poole, directeur du Center for Business Knowledge d’Ernst & Young, résume le processus: « Après avoir gommé l’information sensible sur le client, nous développons des “objets de connaissance” en écrémant des documents les éléments clés (guides d’interview, calendriers de travail, données de références ou analyses de segmentation du marché), puis nous les stockons sur des supports informatiques à des fins d’utilisation ultérieure. » (Hansen & al., 1999).
Personalisation
La stratégie de personnalisation se focalise sur le dialogue et sur l’échange de connaissances par l’application « de face à face ». L’entreprise essaye de connecter les connaissances de chacun et d’édifier des réseaux humains pour assurer l’efficacité de leur stratégie. L’entreprise doit alors former ses individus aux communautés de pratiques, aux lectures d’histoires et à l’utilisation de métaphores. Cette stratégie est, quant à elle, moins répandue. Le développement d’une stratégie de personnalisation a pour intérêt de faciliter un apprentissage par un échange d’expériences, de connaissances et d’erreurs. Cependant, cela nécessite une modification organisationnelle plus que technique qui n’est pas nécessairement facile à mettre en place, et qui implique une motivation et un engagement de la part des employés dans ce processus. Ce n’est pas toujours le cas dans les stratégies de codification dans lesquelles les individus peuvent éviter l’apprentissage en ne rentrant pas dans la base de données les informations nécessaires.
          Ce type de stratégie convient plus particulièrement aux entreprises composés de cadres avec un niveau de formation élevé et dont les demandes des clients nécessitent des solutions one-shot (les consultants rencontrent des problèmes dont la solution n’est pas donnée d’avance). Mark Horwitch, associé chez Bain, résume l’approche de « personne à personne » : « L’information est exploitée en tant que matière première du travail analytique. Jamais on ne la prend pour un produit fini » (Hansen & al., 1999).