1.2.2 La firme face à la fausse révolution de l'information
Ce qui est indéniable aujourd’hui, c’est que toutes les entreprises sont des entreprises d’information (Earl, 1999). Mais, « aidées » par les NTIC, elles ont paradoxalement connu « une fausse révolution de l’information » selon les mots de Peter Drucker. Les entreprises sont confrontées à une « surcharge cognitive » sans précédents et à un éparpillement de leur capital informationnel. Elles doivent gérer une masse de plus en plus importante de données et d’informations tout en restant performantes. Comment gérer toutes les informations disponibles ? Depuis cinquante ans, on s’est surtout intéressé à la technologie, à la donnée et à ses modes de transports. Aujourd’hui on se penche sur l’information et sur le système d’information qui détermine les processus de recueil, de stockage, de transmission et de présentation des données sans pour autant réfléchir à ses modes d’utilisation. Demain, il sera nécessaire de réfléchir sur son utilisation effective par les individus et son optimisation. Ce qui change dans l’économie de la connaissance c’est la capacité offerte à l’homme d’échanger de plus en plus d’information, instantanément, vers n’importe quel point du globe ou vers n’importe qui dans l’organisation. En revanche, la capacité d’absorption et d’analyse de ces échanges d’information n’ont pas évolué au même rythme.
En effet, les outils de traitement de l’information (les NTIC) ont leurs limites. Comme l’a constaté le Prix Nobel d’économie Robert Solow, avec son célèbre paradoxe, l’informatique se retrouve désormais partout sauf dans les chiffres de productivité. On ne peut donc espérer mettre en évidence l’impact des investissements en NTIC sur l'évolution de la productivité de l’économie. Dès lors, la justification de l’investissement informatique est devenue l’une des préoccupations majeures des dirigeants d’entreprise. La ré-apparition d’indicateurs comme le ROI (Return on Investment) ou le TCO (Total Cost of Ownership) à la fin des années quatre- vingts dix dans les milieux informatiques en est l’illustration.
Que constate-t-on aujourd’hui ? Les entreprises dépensent chaque année plus d’un trillion de dollars en informatique (Earl, 1999). Pourtant, non seulement les économistes ne voient pas de corrélation entre les performances des entreprises et ces investissements, mais les managers se plaignent de crouler sous l’information disponible. Posséder la technologie n’est donc pas une fin en soit puisqu’il faut gérer l’information qui est véhiculée. Elles achètent des logiciels de gestion de l’information pour la catégoriser, la classifier et la rendre utilisable sans pour autant réfléchir en amont sur le bien-fondé d’une telle politique. Car faire confiance uniquement aux logiciels n’est qu’un leurre puisque les salariés ne fonctionnent pas à la vitesse des outils qui sont à leur disposition. Comme en témoigne Jean Pierre Corniou (2002), directeur des Services Informatiques chez Renault, le taux d’usage des fonctionnalités des logiciels avoisinent les 10% en moyenne, et tout juste 30% chez les utilisateurs les plus aguerris. Et même si un logiciel de partage de l’information est séduisant, les budgets technologiques des entreprises ne prennent jamais en compte les coûts induits d’apprentissage et de la résistance à cet apprentissage. Selon Erik Brynjolfsson, chercheur au MIT, ces dépenses « invisibles » représentent pourtant 90% de l’investissement. Brynjolfsson désigne cette situation par : « the information technology productivity paradox ». Davenport & Prusak (1997) soulignent que la plupart des programmes informatiques négligent le facteur humain car ils ne tiennent pas compte du type d’information recherchée par les individus ni de l’usage qu’ils en font.  
     Le Commissariat Général du Plan (2002) établit le même constat au niveau macro- économique. Si les NTIC jouent indéniablement un rôle majeur, il faut mettre avant tout l’accent sur le  problème central qui concerne moins l’accès à l’information que la faculté de s’en servir et, plus généralement, la capacité d’apprentissage de la part des différents acteurs concernés. Davenport & Prusak (1997) ont constaté que les données collectées « sont rarement converties en information ou en connaissances. La transformation des données en quelque chose de plus utile exige un niveau important d’intelligence et d’attention. Encore une fois, la plupart des entreprises ne considèrent le problème que sous l’angle technologique ».
Ainsi, la ressource rare n’est pas tant l’information que la capacité d’attention et d’interprétation des managers. Ce qui nous amène à penser qu’il existe une ressource autrement plus importante que l’information en elle-même: la connaissance et la capacité d’apprentissage.