3.3.1 Les indicateurs pour valoriser le management des connaissances
Lors de la mise en place d’un processus de gestion des connaissances et d’une organisation prévue à cet effet, peu d’entreprises ont réfléchi en amont à la valorisation de ce processus. En effet, plus des deux tiers des entreprises européennes n’arrivent pas à quantifier le retour sur investissements de ces démarches (KPMG, 2003), faute d’indicateurs permettant de le mesurer. Même si nous considérons, par exemple, que le « retour sur investissements » n’est pas l’outil financier à utiliser dans les cas des actifs immatériels, il nous est nécessaire de nous pencher sur la question et d’avoir une vision élargie d’un indicateur.

Quelle définition d’un indicateur ?
Selon le Ministère de l’Economie, un indicateur est une représentation chiffrée d’un phénomène qu’on veut mettre sous contrôle. Plus spécifiquement en matière de gestion un indicateur est une donnée (nombre, cotation, évaluation…) permettant d’objectiver une situation, d’en rendre les caractéristiques lisibles et interprétables. Un indicateur est nécessairement quantitatif : il l’est soit naturellement parce que rendant compte d’une donnée directement mesurable, soit s’il rend compte d’une donnée qualitative parce qu’il repère cette donnée sur une échelle de valeur. Mais notre perception de l’indicateur est beaucoup plus large. Nous considérons un indicateur comme une information devant aider un acteur, individuel ou plus généralement collectif, à conduire le cours d’une action vers l’atteinte d’un objectif ou devant lui permettre d’en évaluer le résultat (Lorino, 1995).
En effet, le choix d’un indicateur va donc déterminer la stratégie de valorisation des connaissances au sein de l’entreprise car il contient une part de subjectivité. Comme le souligne Lorino (1995) : ce n’est pas une mesure “objective”, attribut du phénomène mesuré indépendant de l’observateur, puisqu’ il est construit par l’acteur en relation avec le type d’action qu’il conduit et les objectifs qu’il poursuit. Un indicateur n’est don jamais neutre, c’est un construit social.
Quels indicateurs choisir ?
Selon nous, la valorisation des connaissances doit prendre appui sur des indicateurs à tous les niveaux de l’organisation. Nous avons choisi de les classer en deux catégories distinctes :
    • les indicateurs de coordination (1.2.2.1) qui doivent étudier le niveau et la qualité de la coordination des connaissance dans les structures dans lesquelles vont se dérouler le management des connaissances
    • les indicateurs de coopération (1.2.2.2) qui doivent rendre compte du niveau et de la qualité de la coopération entre les individus.
Les indicateurs de coordination
Dimension organisationnelle
La première dimension à étudier est le niveau et la qualité de l’organisation du management connaissances à savoir les moyens dont disposent le Knowledge Manager.
    • la stratégie à mener (codification ou personnalisation), la mission du management des connaissances (l’exploration ou l’exploitation) et les objectifs finaux (partage, capitalisation, innovation) ;
    • la taille des équipes KM à mobiliser et l’affectation de chaque personne (qui fait quoi ?) ;
    • le niveau de budget alloué pour mener à bien la stratégie ;
    • les projets que l’on souhaite mener en priorité (la création d’une communauté de pratiques, le lancement d’un intranet, le développement du Retour d’Expériences... ?) ;
    • le réaménagement des espaces de travail (open space) et du temps de travail (obligation de passer du temps à partager l’information) ;

Les indicateurs sont ici très contextuels car définis par les structures elles- même. L’approche KMM de Jean Louis Ermine permet, par exemple, d’évaluer les outils à disposition du Knowledge Manager. C’est un audit des possibilités, des outils et des méthodes existants dans le processus de management des connaissances.
Sorte de notation équilibrée, le KMM doit permettre d’anticiper dès le départ d’un projet de management des connaissances, les retombées attendues, stratégiques et opérationnelles. La notation une fois effectuée, on reporte les résultats dans une grille qui permettra de réaliser un tableau de bord graphique. Malheureusement, très peu d’articles académiques permettent d’accéder à ce modèle qui reste « l’apanage » du Club Gestion des Connaissances fondé par l’auteur. Autre point noir de cette méthode, la notation de chaque outil doit être réalisé avec la plus grande rigueur étant donné qu’elle va déterminer le pilotage des actions de management des connaissances par le service en question.
Dimension technologique
Les indicateurs technologiques doivent permettre de mesurer les flux de transfert d’information entre les employés. Ils doivent être présents à trois niveaux du système d’information.
Premier niveau : l’accessibilité à l’information
Le Knowledge Manager doit être capable de déterminer le nombre de personnes qui ont potentiellement accès à l’information ou aux bases de connaissances disponibles. Par exemple, il est nécessaire de compter le nombre de licences d’un logiciel au sein de l’entreprise pour connaître le nombre d’utilisateurs de ce logiciel.
Certaines difficultés techniques (qualité du réseau, réplication des bases de données ou non, vitesse de transmission des données) vont nécessiter une rationalisation des informations disponibles. Dans une entreprise globale, la vitesse de la bande passante peut varier de 56 Ko/secondes à 2 Mo/secondes ! Les informations et les connaissances codifiées à véhiculer ne doivent donc pas être trop lourdes, sous peine de bloquer le transfert d’information.
Deuxième niveau : le taux d’utilisation du contenu disponible
Une fois que la Knowledge Manager s’est assuré de la disponibilité de l’information et de la connaissance codifiée, il s’agit de mesurer le taux d’utilisation de ces outils. Les indicateurs quantitatifs permettent alors de réaliser des tableaux de bord et de suivre le nombre de connexions selon la segmentation souhaitée (en classant les utilisateurs soit par pays, soient par service ou par équipe). Dans le tableau ci-dessous, les indicateurs quantitatifs sont appliquées au cas d’une base documentaire.

Type de mesure
Objet de la mesure
Indicateurs
Indicateurs quantitatifs
Volume de la fréquentation sur la base de connaissances
- # connexions / # utilisateurs potentiels
- # connexions par jour
- # clicks sur la base documentaire
Le nombre de documents consultés sur la base de connaissances
- # documents consultés par jour/semaine/mois/année
- # documents consultés par thème (selon la taxonomie) / # de références
La fréquence des demandes et des prestations
- # demandes de documents par jour/semaine/mois/année
Les meilleurs lecteurs
Top Ten  des lecteurs les plus actifs (les meilleurs clients internes)
Les documents les plus populaires
Top Ten des documents les plus consultés ou les plus appréciés

Le nombre d’utilisateurs est un indicateur quantitatif brut de la fréquentation des services proposés aux clients internes. Cette mesure est indispensable pour savoir si le service est véritablement utilisé ou non. Ce n’est pas le nombre de références disponibles (= le nombre de documents disponibles) qui génère de la valeur mais le taux d’utilisation de ces références. Parallèlement, un classement des lecteurs les plus actifs permettra de trouver les employés les plus impliqués et de les interroger pour connaître leur utilisation effective des bases documentaires. Cette politique permet également de monter des initiatives de communication auprès des utilisateurs potentiels.


Troisième niveau : la qualité du contenu disponible
Mesurer le taux de fréquentation ne suffit pas. Il est nécessaire d’évaluer la qualité du contenu disponible et de connaître les attentes des utilisateurs pour comprendre les points forts et faibles de la base d’information.

Type de mesure
Objet de la mesure
Indicateurs
Indicateurs qualitatifs
Satisfaction des utilisateurs vis-à- vis de la base de connaissances codifiées
- Délai de réponse
- Pertinence de la réponse perçue par le client
- Enquête de satisfaction & indice de niveau de satisfaction
- (Re)définition des besoins en information
Notoriété du service Knowledge Management
- # utilisateurs / # utilisateurs potentiels
Fidélité des utilisateurs
- Taux de clients réguliers

Le nombre de clients est un indicateur quantitatif brut de la fréquentation des services documentaires...mais si l’on dénombre les nouveaux clients et les clients réguliers, il est alors possible d’élaborer des indicateurs qualitatifs indirects relatifs à la notoriété des services.
La comparaison entre les utilisateurs potentiels et les utilisateurs effectifs permet également d’avoir une image du taux de pénétration du service.
Enfin, un questionnaire passé auprès des utilisateurs permettra de définir en amont leurs besoins quotidiens en matière d’information et de document.
Une autre idée consiste à créer un espace de commentaire sur les zones d’information. Chez Siemens, les logiciels collaboratifs comportent un espace « feedback » sur lequel l’utilisateur peut ajouter un commentaire et donner une note sur 5 pour mesurer la qualité de l’information.
Les indicateurs de coopération
Von Krogh & Ross (1998) considèrent que le niveau de confiance est le facteur le plus important affectant le partage des connaissances. Ce constat est relayé par de nombreuses études empiriques. Celle réalisée par Tschannen-Moran (2001) que le niveau de collaboration des professeurs dans une école était avant tout fondée sur le niveau de confiance que chacun accordait à l’autre. Sveiby (1996) souligne l’importance de la confiance dans le fonctionnement des organisations en la comparant à une bande passante qui facilite le partage des connaissances. Tant au niveau quantitatif et qualitatif, elle permet de créer un échange de flux entre deux individus.

En partant de ce constant, Karl Erik Sveiby et Roland Simons (2002) ont développé un indicateur multicritères permettant de mesurer le niveau du climat collaboratif dans une entreprise (the collaborative climat index). Cet indicateur repose sur un questionnaire comprenant quatre catégories de questions auxquelles un employé doit répondre et définir :
- son attitude pour partager les connaissances (Attitude de l’employé)
- l’attitude de ses collègues (soulignant le niveau de partage des connaissances dans les groupes de partage) (Attitude des collègues)
- l’attitude de son manager (ou n+1) vis-à-vis de ce partage (Superviseur immédiat)
- l’ambiance régnant dans son organisation (Culture organisationnelle)
Le questionnaire comprend 20 affirmations et les réponses aux affirmations sont proposées sur une échelle de Likert de 5 (Complètement d’accord) à 1 (Pas du tout d’accord). Le questionnaire est structuré dans le schémas ci- dessous. Les réponses sont liées aux caractéristiques démographiques de l’échantillon : l’âge, le sexe, la formation, la taille de l’entreprise, le niveau de responsabilité et l’expérience acquise dans l’entreprise.
En réalisant une enquête auprès de plus de 8277 employés d’organisations privées et publiques, Sveiby et Simons (2002) ont abouti aux constats suivants :
- plus les personnes sont expérimentées, plus elles sont portées à partager les connaissances. Cela s’explique par l’accumulation de réseaux de connaissances et d’individus que l’on se construit au cours d’une carrière dans une organisation.
- l’existence d’un seuil de partage des connaissances que l’on observe après 15 ans d’expérience dans une entreprise (Sveiby, 2002). Ce seuil reflète la lassitude d’un employé à partager certaines de ses connaissances, sachant qu’il est dans l’entreprise depuis tellement longtemps qu’il n’en trouve ni l’envie, ni l’intérêt.
- le niveau de collaboration est paradoxalement plus élevé dans les grandes entreprises que dans les Petites et Moyennes Entreprises.