Le
modèle SECI dIkujiro Nonaka (1988) est certainement le modèle le plus cité dans
les ouvrages de Knowledge Management. Il est fortement inspiré du modèle ACT
dAnderson mais le modèle de Nonaka, lui, se focalise sur la création et la
transformation des connaissances.
Pour Nonaka, les organisations créent et utilisent
des connaissances à
travers des conversions de connaissances. Il expose quatre différents modes
de conversion qui sont représentées dans le modèle SECI :
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Tacite
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Explicite
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Tacite
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Socialisation
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Externalisation
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Explicite
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Internalisation
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Combinaison
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La
socialisation ou la transformation du tacite en tacite.
La socialisation est le processus de partage dexpériences
et de création de
connaissance tacite comme les savoir-faire ou les schémas mentaux. La
caractéristique principale de la socialisation est sa résistance à la codification. La
connaissance se transforme donc par lobservation et limitation. La clé de
lacquisition de la connaissance tacite devient lexpérience et lapprentissage
par la
pratique (le langage, au contraire, nintervenant pas dans ce processus). Sans
échange dexpérience, il reste difficile de partager des schémas et des processus
de
pensée, car la connaissance perd de son sens si elle est dépossédée de son contexte
et des émotions qui sont associées au transfert dexpériences. La conversion de
la
connaissance tacite repose donc sur le partage dexpérience (Nonaka, 1995).
A un niveau organisationnel, la socialisation est fortement
connectée à la
culture organisationnelle, puisque la firme doit faciliter le partage dexpérience
(Nonaka, 1995). De plus, si la connaissance est tacite, elle est probablement enfouie
dans les schémas de pensée des individus qui, eux- mêmes, évoluent dans un
contexte donné. La relation de lapprenti avec son maître, du senior avec le junior ou
les communautés de pratiques relèvent de cette catégorie.
Lexternalisation
ou la transformation du tacite en explicite.
Lexternalisation permet darticuler les connaissances
tacites et de les
expliciter. Elle requiert un effort de structuration pour lexprimer en une forme
compréhensive pour les autres. Pour de nombreux auteurs (Davenport et Prusak,
1998 ; Zack, 1999), cette conversion est la base même des pratiques du
management des connaissances. Pour Nonaka & Takeuchi (1995), elle est le point de
départ du processus de création de connaissances : la connaissance prend alors la
forme de métaphores, de concepts ou dimages. Lécriture est un exemple quotidien
du phénomène individuel dexternalisation.
Dans une organisation, un individu se confie au groupe et
fait corps avec ce
dernier. Les intentions individuelles et les idées fusionnent puis sintègrent dans
lunivers mental du groupe. Dans ce cas, lauto- transcendance est une clé de de la
conversion du tacite en explicite. Linstitutionnalisation de règles tacites en
règlements intérieurs en est un bon exemple (Baumard, 1996).
La combinaison ou la transformation de lexplicite
en explicite.
La combinaison implique lutilisation de processus sociaux
pour rapprocher les
différents corps de la connaissance explicite détenue par les individus. En effet, une
connaissance codifiable est aussi décomposable en unités de connaissance
élémentaire. Les individus échangent et combinent leurs connaissances au travers de
mécanismes comme les réunions, les conversations téléphoniques ou des séminaires
de formation. La combinaison de différents éléments informationnels (bases de
données, notes de synthèses, articles de journal...) par les membres dune équipe
permet de créer une connaissance et un sens partagé. Comme un puzzle que lon
construit, chacun sélectionne, additionne, catégorise et synthétise les informations
disponibles en fonction du niveau de connaissance personnel.
Ainsi, la combinaison se réalise par la collecte de connaissances
externes ou
internes qui seront combinées en vue de leur diffusion. Les NTIC ont accéléré ces
possibilités au sein des entreprises : intranets, messagerie, téléphone portable,
bases
de données relationnelles. La combinaison peut également se faire par la
dissémination de la connaissance explicite lors des réunions ou des présentations ou
encore par lédition et la mise en procédure de la connaissance explicite. La
combinaison est donc basée sur un langage commun.
Lintériorisation
ou la transformation de lexplicite en tacite.
Lintériorisation des connaissances est laboutissement
des processus
précédents. Cest létape la plus important pour lentreprise puisquelle
modifie les
comportements des individus en leur intégrant des connaissances grâce à des
formations et des exercices qui permettent aux individus daccéder à la connaissance
du groupe. Elle entraîne ladoption de certaines règles et dun comportement
nouveau dans lorganisation.
Pour
cela, la connaissance explicite, enfouie dans les actions et les pratiques, doit
être actualisée en fonction des stratégies, des tactiques et des innovations. Les
retours dexpérience, les cas, les anecdotes, les success stories, les best
practices,
les manuels ou règlements internes sont autant doutils pour faciliter lintériorisation
des connaissances : For explicit knowledge to become tacit, it helps if the knowledge
is verbalized or diagrammed into documents, manuals, or oral stories (Nonaka &
Takeuchi, 1995).
Le
modèle SECI nous permet de comprendre comment les connaissances
se créent et se transforment dans lorganisation en fonction des
dimensions épistémologiques et ontologiques. Toutefois, ce modèle
semble empreint dune culture très « japonaise », où le groupe et
le travail
en équipe prend une place prépondérante, ne présente pas clairement la
phase de création de valeur. Il se contente de décrire les conversions de
connaissances dans un mode dynamique.
Pour Nonaka et Konno (1998), ces conversions de connaissances
peuvent
uniquement se réaliser au sein dun espace partagé : le ba. Cet espace est
une place
commune de transfert, une « base dapprentissage » à part entière,
lieu dinteractions
interindividuelles créatrices de nouvelles connaissances que lon peut traduire
littéralement par le « lieu » (place en anglais). Cest à
la fois un lieu de réflexion,
dapprentissage et de constitution de la mémoire organisationnelle. Cest le cadre
dans lequel se déroule la création de connaissances. Inspiré par un philosophe
japonais, Kitaro Nishida, le ba est un espace partagé dont lequel se déroulent les
échanges dinformation et les relations entre les personnes, les groupes et
lorganisation.
Le ba
peut être :
- physique :
bureaux, usines, open space
- virtuel :
e-mail, messenger, intranets, groupwares
- mental :
expériences partagées, idées, concepts
Ce qui différencie le ba des interactions humaines
quotidiennes cest la notion
de création de connaissances (Créplet, 2001). Le ba en est la fondation même
puisque la connaissance fait partie de cet espace partagé : « knowledge resides
in
ba » (Nonaka & Konno, 1998). Si la connaissance est séparée du ba
alors elle devient
de la simple information tangible qui peut être transmissible en dehors de lespace
partagé. Nous lavons vu dans notre définition de la connaissance, pour appréhender
la notion de connaissances il est nécessaire détudier les relations humaines et les
flux dinformation dans un contexte donné. Pour Nonaka & Konno (1998), ce
contexte est le ba. Lexistence de ce contexte permet le passage de la connaissance
à linformation et la création de valeur. Ainsi, si la connaissance nest
pas
utilisée pendant une durée spécifique et dans un espace donné, elle ne
détient plus de valeur. La création dun espace commun permettra de « manager
lémergence de la connaissance, [
], avec des propositions visionnaires et un
engagement personnel » (Nonaka & Konno, 1998).
Nonaka & Konno (1998) distinguent alors quatre types despace :
La
socialisation implique une capture de la connaissance par une proximité physique.
Dans cet espace de transformation du tacite en tacite, les individus partagent leurs
pensées, leurs émotions, leurs expériences et leurs modèles mentaux pour réaliser
un
apprentissage cognitif. La clé de la conversion et du transfert de la connaissance
tacite réside dans les face-à- face physiques.
Lespace
de conversion est ici nommé interacting ba. Il est construit pour mettre en
relation des personnes possédant des connaissances rares et spécifiques. Dans
cette situation, lorganisation doit utiliser des techniques qui aident à exprimer des
idées ou des visions pour lentreprise comme les mots, les concepts et le langage
figuratif. Par le dialogue, les modèles mentaux et les compétences sont convertis en
termes et concepts communs. Les individus partagent leurs modèles mentaux avec
les autres et se questionnent réciproquement sur le leur.
Le
ba cybernétique génère une diffusion de la connaissance au sein de
lorganisation. Cette diffusion permet à chacun de combiner ses connaissances dans
un espace virtuel. Le ba cybernétique peut être perçu comme la meilleure justification
théorique quant à la mise en place doutils informatiques et de systèmes
dinformation voire de systèmes de gestion des connaissances. En effet, cette
combinaison est plus efficiente dans des environnements favorables aux
collaborations diverses. Ces outils ont lavantage de créer ce type denvironnement.
Lespace
dexercice facilite la conversion de lexplicite en tacite. Ce processus est
amplifié par lutilisation de connaissances formelles dans la vie réelle. Lespace
dexercice permet de mettre en pratique les connaissances diffusées alors que
lespace dinteraction le réalise par la pensée.
La
création de connaissances peut donc prendre différentes formes selon lespace
dans lequel elle intervient.