2.1.2 Les modes de transformation des connaissances dans les organisations
Etant dynamique, la connaissance se transforme dans l’organisation en fonction des interactions entre connaissances tacites / explicites et connaissances individuelles / collectives. Or, les typologies basées sur les dimensions ontologiques et épistémologiques sont statiques. Selon Baumard (1996), cette étude est nécessaire car l’identification de la connaissance organisationnelle réside dans les dynamiques de sa transformation. Nous devons donc étudier les modèles existants de transformation de ces connaissances.
Le modèle d'Huber
Le modèle d’Huber (1991) mêle la gestion de l’information et celle de la connaissance à travers un processus d’apprentissage. Selon Huber, si une unité apprend, toute l’organisation pourra avoir accès à la connaissance nouvelle. Le modèle décrit par Huber repose sur la relation entre l’apprentissage et le traitement de l’information par les individus. Ce processus passe par quatre étapes : l’acquisition de connaissance, la distribution de l’information, son interprétation et sa mémorisation.

ETAPE 1 : L’acquisition de la connaissance ou de l’information est rendue possible via cinq processus :
    • L’apprentissage congénital qui représente les connaissances héritées du passé de l’organisation. Une organisation fonctionne souvent sur des bases de connaissances élaborées depuis une grande période de temps ;
    • L’apprentissage par l’expérience qui résulte le plus souvent d’efforts non- intentionnels. Si les apprentissages dus à des expérimentations sont fréquents, le hasard reste un procédé courant ;
    • L’apprentissage par procuration qui constitue l’apprentissage par imitation. Non pas qu’il s’agisse d’un apprentissage comportementaliste, mais  l’organisation prend exemple sur une autre (le benchmarking).
    • L’apprentissage par greffe que réalise lors de l’entrée dans l’organisation de nouveaux individus. Que ce soit par embauche ou croissance externe, l’organisation apprend de ses nouveaux entrants ;
    • La recherche qui est une source d’apprentissage constante pour l’organisation. Elle se fait par la veille stratégique, la recherche spécifique ou par un suivi des performances de l’entreprise.

ETAPE 2 : La distribution de l’information est le processus par lequel les membres d’une unité regroupent les informations qu’ils ont acquises.
L’information provenant de plusieurs sources est mise en commun avant de « remonter » ou d’être redistribuée à d’autres unités ou départements. Ici, la problématique est de déterminer le type d’information à distribuer. On remarque ainsi que les unités recueillent de nombreuses informations pas toujours pertinentes, mais qu’en plus elles ne savent pas nécessairement tout ce qu’elles savent (if only HP knew what it knows !). Ces lacunes peuvent être comblées par une distribution efficace de l’information. Pour Huber, l’apprentissage est d’autant plus efficace que l’ampleur de la distribution est importante. Cette étape est donc un élément moteur du processus.

ETAPE 3 : L’interprétation de l’information est un processus qui donne du sens à l’information.
Par ce processus, les individus cherchent à comprendre les évènements, à les déchiffrer et à étudier les résultats de cette analyse. Cette démarche entraîne un apprentissage si les membres de l’organisation assurent un partage des interprétations et des analyses. Une analyse commune permet à l’organisation de bénéficier d’une compréhension des théories en usage (Argyris), voire de leur possible redéfinition.
Ce partage est possible par :
    • l’uniformité des cartes cognitives, car l’interprétation est facilitée par un langage et un processus de compréhension communs ;
    • la richesse des médias de communication, qui représente une capacité de changement  des représentations mentales dans un intervalle de temps spécifique ;
    • la charge d’information qui définit le volume maximal adéquat d’informations que traitent les unités de l’organisation ;
    • le « désapprentissage » et ses effets. Les individus doivent « effacer » certaines connaissances de leur mémoire pour en apprendre d’autres. Ce processus a des conséquences « psychologiques » sur les membres de l’organisation qui remettent en question leurs connaissances actuelles.

ETAPE 4 : La mémorisation de l’information. Une fois le processus arrivé à ce stade, il est nécessaire que l’organisation, par l’intermédiaire de ses membres, stocke la connaissance dans sa mémoire organisationnelle (les mémoires individuelles ne retiennent la connaissance que pendant le temps de présence de l’individu dans l’organisation). Les NTIC et les bases de données jouent ici un rôle important même si les mémoires informatiques limitent le stockage d’informations tacites, comme les systèmes de management des connaissances par codification.

Les travaux d’Huber sont d’un intérêt certain pour notre recherche, car ils représentent une première approche d’un processus de management de l’information et de la connaissance. Il associe les phénomènes d’apprentissage au cours de ce processus. En revanche la limite principale de ce domaine réside dans la confusion entre information et connaissance. Huber appartenant à l’école « cognitiviste », les terme de « connaissances » et « d’information » sont presque substituables. Nous sommes en opposition avec cette idée puisque nous nous sommes efforcés de montrer que l’information est foncièrement différente de la connaissance. Toutefois, nous devrons garder en tête les différentes étapes pour définir notre processus de gestion des connaissances.
Le modèle de Boisot
Les travaux de Max Boisot (1995) cherchent à montrer comment l’information issue d’un environnement chaotique est transformée en connaissance par l’intermédiaire d’un cycle d’apprentissage social faisant intervenir la dimension culturelle. Le modèle de Boisot, développé au cours de sa thèse, est le modèle I- Space, « l’espace de l’information ».
Ce modèle est basé sur trois dimensions : l’espace Epistémologique, de l’Utilité et de la Culture pour former une représentation en trois dimensions dans laquelle les flux et les dynamiques des informations et des connaissances sont exploitables, et au travers duquel la création et la diffusion de connaissances sont explicables.
La création de la connaissance active les trois dimensions de l’I- Space selon un processus particulier. L’examen de cette séquence montre comment ces trois dimensions interagissent pour construire graduellement une connaissance à partir des mouvements d’une information dans un champ de données. Elle se schématise sous la forme d’un mouvement cyclique décomposable en six séquences :
    • SCANNING : Tout d’abord, il est nécessaire de scanner l’environnement d’information pour identifier les opportunités et les menaces généralement disponibles dans des données dissimulées au sein de petits groupes, à savoir des signaux faibles.
Lors de la première phase, le principal problème est lié à la dissonance cognitive qui permet aux individus de filtrer ou de bloquer les stimuli externes venant d’une donnée ou d’une information. Les informations choisies par l’individu sont donc des informations à haute valeur ajoutée.
    • SELECTION : Ces nouvelles informations trouvées passent ensuite dans la phase de résolution de problèmes, durant laquelle elles vont être structurées et définies avec plus d’exactitude afin d’éliminer au maximum l’incertitude toujours liée à cette intuition.
La seconde phase fait appel à des processus de sélection de  « bonnes ou de mauvaises » informations. Mais ces informations sont aussi choisies en fonction des connaissances existantes chez les individus.
    • ABSTRACTION : L’abstraction consiste en la généralisation de l’application de la nouvelle connaissance codifiée par des tests dans des situations multiples.
L’abstraction est classiquement limitée par les habitudes qui limitent la réflexion. Les barrières à la codification sont tout aussi nombreuses et constituent à un frein à la diffusion. L’absence de volonté de communication semble être le facteur le plus déterminant à ce sujet.
    • DIFFUSION : Une fois la certitude de l’utilité de la nouvelle connaissance installée, l’organisation la diffuse en son sein afin qu’elle devienne disponible pour le plus grand nombre d’individus.
La diffusion est accélérée par les NTIC qui permettent de transmettre à des coûts de moins en moins élevés les connaissances installées.
    • ABSORPTION : Une fois la phase de diffusion terminée, intervient celle d’absorption qui intériorise la nouvelle connaissance au travers d’une utilisation
L’absorption est freinée par les valeurs profondément enfouies dans des habitudes inconscientes. Le déblocage d’une telle situation se réalise par deux options, la première est le rejet total de la nouvelle connaissance et la deuxième est la transformation majeure des croyances passées.
    • IMPACT : La dernière phase du processus d’apprentissage est l’impact, ce qui signifie que la nouvelle connaissance s’enfouit dans les pratiques concrètes comme les artefacts, les règles de l’organisation ou les schémas de croyances.
Les freins consistent essentiellement à ne pas trouver d’applications valorisantes à la nouvelle connaissance.
Le modèle de Nonaka
Le modèle SECI d’Ikujiro Nonaka (1988) est certainement le modèle le plus cité dans les ouvrages de Knowledge Management. Il est fortement inspiré du modèle ACT d’Anderson mais le modèle de Nonaka, lui, se focalise sur la création et la transformation des connaissances.
Pour Nonaka, les organisations créent et utilisent des connaissances à travers des conversions de connaissances. Il expose quatre différents modes de conversion qui sont représentées dans le modèle SECI :
    • La socialisation : de la connaissance tacite à la connaissance tacite
    • L’externalisation : de la connaissance tacite à la connaissance explicite
    • La combinaison : de la connaissance explicite à la connaissance explicite
    • L’internalisation (ou l’assimilation) : de la connaissance explicite à la connaissance tacite.

 

Tacite

Explicite

Tacite
Socialisation
Externalisation

Explicite

Internalisation

Combinaison

La socialisation ou la transformation du tacite en tacite.
La socialisation est le processus de partage d’expériences et de création de connaissance tacite comme les savoir-faire ou les schémas mentaux. La caractéristique principale de la socialisation est sa résistance à la codification. La connaissance se transforme donc par l’observation et l’imitation. La clé de l’acquisition de la connaissance tacite devient l’expérience et l’apprentissage par la pratique (le langage, au contraire, n’intervenant pas dans ce processus). Sans échange d’expérience, il reste difficile de partager des schémas et des processus de pensée, car la connaissance perd de son sens si elle est dépossédée de son contexte et des émotions qui sont associées au transfert d’expériences. La conversion de la connaissance tacite repose donc sur le partage d’expérience (Nonaka, 1995).
A un niveau organisationnel, la socialisation est fortement connectée à la culture organisationnelle, puisque la firme doit faciliter le partage d’expérience (Nonaka, 1995). De plus, si la connaissance est tacite, elle est probablement enfouie dans les schémas de pensée des individus qui, eux- mêmes, évoluent dans un contexte donné. La relation de l’apprenti avec son maître, du senior avec le junior ou les communautés de pratiques relèvent de cette catégorie.
L’externalisation ou la transformation du tacite en explicite.
L’externalisation permet d’articuler les connaissances tacites et de les expliciter. Elle requiert un effort de structuration pour l’exprimer en une forme compréhensive pour les autres. Pour de nombreux auteurs (Davenport et Prusak, 1998 ; Zack, 1999), cette conversion est la base même des pratiques du management des connaissances. Pour Nonaka & Takeuchi (1995), elle est le point de départ du processus de création de connaissances : la connaissance prend alors la forme de métaphores, de concepts ou d’images. L’écriture est un exemple quotidien du phénomène individuel d’externalisation.
Dans une organisation, un individu se confie au groupe et fait corps avec ce dernier. Les intentions individuelles et les idées fusionnent puis s’intègrent dans l’univers mental du groupe. Dans ce cas, l’auto- transcendance est une clé de de la conversion du tacite en explicite. L’institutionnalisation de règles tacites en règlements intérieurs en est un bon exemple (Baumard, 1996).

La combinaison ou la transformation de l’explicite en explicite.
La combinaison implique l’utilisation de processus sociaux pour rapprocher les différents corps de la connaissance explicite détenue par les individus. En effet, une connaissance codifiable est aussi décomposable en unités de connaissance élémentaire. Les individus échangent et combinent leurs connaissances au travers de mécanismes comme les réunions, les conversations téléphoniques ou des séminaires de formation. La combinaison de différents éléments informationnels (bases de données, notes de synthèses, articles de journal...) par les membres d’une équipe permet de créer une connaissance et un sens partagé. Comme un puzzle que l’on construit, chacun sélectionne, additionne, catégorise et synthétise les informations disponibles en fonction du niveau de connaissance personnel.
Ainsi, la combinaison se réalise par la collecte de connaissances externes ou internes qui seront combinées en vue de leur diffusion. Les NTIC ont accéléré ces possibilités au sein des entreprises : intranets, messagerie, téléphone portable, bases de données relationnelles. La combinaison peut également se faire par la dissémination de la connaissance explicite lors des réunions ou des présentations ou encore par l’édition et la mise en procédure de la connaissance explicite. La combinaison est donc basée sur un langage commun.

L’intériorisation ou la transformation de l’explicite en tacite.
L’intériorisation des connaissances est l’aboutissement des processus précédents. C’est l’étape la plus important pour l’entreprise puisqu’elle modifie les comportements des individus en leur intégrant des connaissances grâce à des formations et des exercices qui permettent aux individus d’accéder à la connaissance du groupe. Elle entraîne l’adoption de certaines règles et d’un comportement nouveau dans l’organisation.
Pour cela, la connaissance explicite, enfouie dans les actions et les pratiques, doit être actualisée en fonction des stratégies, des tactiques et des innovations. Les retours d’expérience, les cas, les anecdotes, les success stories, les best practices, les manuels ou règlements internes sont autant d’outils pour faciliter l’intériorisation des connaissances : For explicit knowledge to become tacit, it helps if the knowledge is verbalized or diagrammed into documents, manuals, or oral stories (Nonaka & Takeuchi, 1995).
Le modèle SECI nous permet de comprendre comment les connaissances se créent et se transforment dans l’organisation en fonction des dimensions épistémologiques et ontologiques. Toutefois, ce modèle semble empreint d’une culture très « japonaise », où le groupe et le travail en équipe prend une place prépondérante, ne présente pas clairement la phase de création de valeur. Il se contente de décrire les conversions de connaissances dans un mode dynamique.

    • Le ba, un fondement de la création de connaissances au sein du SECI
Pour Nonaka et Konno (1998), ces conversions de connaissances peuvent uniquement se réaliser au sein d’un espace partagé : le ba. Cet espace est une place commune de transfert, une « base d’apprentissage » à part entière, lieu d’interactions interindividuelles créatrices de nouvelles connaissances que l’on peut traduire littéralement par le « lieu » (place en anglais). C’est à la fois un lieu de réflexion, d’apprentissage et de constitution de la mémoire organisationnelle. C’est le cadre dans lequel se déroule la création de connaissances. Inspiré par un philosophe japonais, Kitaro Nishida, le ba est un espace partagé dont lequel se déroulent les échanges d’information et les relations entre les personnes, les groupes et l’organisation.
Le ba peut être :   
- physique : bureaux, usines, open space
- virtuel : e-mail, messenger, intranets, groupwares
- mental : expériences partagées, idées, concepts
Ce qui différencie le ba des interactions humaines quotidiennes c’est la notion de création de connaissances (Créplet, 2001). Le ba en est la fondation même puisque la connaissance fait partie de cet espace partagé : « knowledge resides in ba » (Nonaka & Konno, 1998). Si la connaissance est séparée du ba alors elle devient de la simple information tangible qui peut être transmissible en dehors de l’espace partagé. Nous l’avons vu dans notre définition de la connaissance, pour appréhender la notion de connaissances il est nécessaire d’étudier les relations humaines et les flux d’information dans un contexte donné. Pour Nonaka & Konno (1998), ce contexte est le ba. L’existence de ce contexte permet le passage de la connaissance à l’information et la création de valeur. Ainsi, si la connaissance n’est pas utilisée pendant une durée spécifique et dans un espace donné, elle ne détient plus de valeur. La création d’un espace commun permettra de « manager l’émergence de la connaissance, […], avec des propositions visionnaires et un engagement personnel » (Nonaka & Konno, 1998).
Nonaka & Konno (1998) distinguent alors quatre types d’espace :
    • le ba originel, point de départ de la création de connaissance grâce à la proximité physique de l’échange d’information
    • le ba d’interaction, lieu d’échange d’information entre les individus voire les experts via des moyens de communication one-to-one. La localisation des experts à travers un annuaire est alors primordial.
    • le ba cybernétique, représenté par les intranets, groupwares et forums permettant de combiner les informations de plusieurs individus. La proximité physique est alors impossible.
    • le ba d’exercice, lieu physique qui permet d’apprendre en observant et en réalisant ce que l’on a assimilé dans les espaces précédents.
  • le ba originel
La socialisation implique une capture de la connaissance par une proximité physique. Dans cet espace de transformation du tacite en tacite, les individus partagent leurs pensées, leurs émotions, leurs expériences et leurs modèles mentaux pour réaliser un apprentissage cognitif. La clé de la conversion et du transfert de la connaissance tacite réside dans les face-à- face physiques.
  • le ba d’interaction
L’espace de conversion est ici nommé interacting ba. Il est construit pour mettre en relation des personnes possédant des connaissances rares et spécifiques. Dans cette situation, l’organisation doit utiliser des techniques qui aident à exprimer des idées ou des visions pour l’entreprise comme les mots, les concepts et le langage figuratif. Par le dialogue, les modèles mentaux et les compétences sont convertis en termes et concepts communs. Les individus partagent leurs modèles mentaux avec les autres et se questionnent réciproquement sur le leur.
  • le ba cybernétique
Le ba cybernétique génère une diffusion de la connaissance au sein  de l’organisation. Cette diffusion permet à chacun de combiner ses connaissances dans un espace virtuel. Le ba cybernétique peut être perçu comme la meilleure justification théorique quant à la mise en place d’outils informatiques et de systèmes d’information voire de systèmes de gestion des connaissances. En effet, cette combinaison est plus efficiente dans des environnements favorables aux collaborations diverses. Ces outils ont l’avantage de créer ce type d’environnement.
  • le ba d’exercice
L’espace d’exercice facilite la conversion de l’explicite en tacite. Ce processus est amplifié par l’utilisation de connaissances formelles dans la vie réelle. L’espace d’exercice permet de mettre en pratique les connaissances diffusées alors que l’espace d’interaction le réalise par la pensée.
La création de connaissances peut donc prendre différentes formes selon l’espace dans lequel elle intervient.
Le modèle de Sveiby
Karl Erik Sveiby (2001) analyse les modes de transformation de la connaissance à travers les trois structures et tente de répondre aux dix questions stratégiques posées par la théorie des connaissances. Il étend les modes de transformation de l’information et de la connaissance à l’ensemble des trois structures : la structure interne, la structure externe et les compétences. Il étudie ainsi les flux de transfert et de conversion de connaissances.
    • Les conversions de connaissances entre les individus
Les connaissances sont modifiées en fonction du niveau de communication et de confiance établi entre les individus. La principale problématique revient à comprendre dans quelle mesure les individus sont prêts à partager ce qu’ils savent. 
    • Les conversions des connaissances entre les individus et la structure externe
Les connaissances détenues par l’organisation sont transformées lors des relations avec les clients, les fournisseurs ou les partenaires. Les employés sont ici à même de transférer des connaissances vers les parties prenantes en organisant des rencontres avec ces derniers. Ces actions doivent principalement servir à construire la réputation de l’entreprise et à faciliter les remontées d’information.
    • Les conversions de connaissances de la structure externe aux individus
Les employés détiennent, à tous les niveaux et toutes les fonctions de l’entreprise, des connaissances sur les relations entre l’entreprise et les parties prenantes. Les compétences des membres de l’organisation sont augmentées grâce à une socialisation accrue entre eux et la structure externe. Cette relation doit alors être capitalisée dans des systèmes d’information.
    • Les conversions de connaissances entre les compétences des employés et les structures internes
Ce mode de conversion est le plus étudié dans le champs du management des connaissances. A l’origine de cette pratique, de nombreux projets d’Intelligence Artificielle ont tenté de modéliser la connaissance détenu par les experts dans les entreprises, pour les transférer à la structure interne. Puis, ce sont les meilleures pratiques dans les différents unités d’une entreprise qui ont été formalisées et codifiées selon des méthodes de recueil d’expérience. De là est née une confusion entre l’information et la connaissance et l’avènement des outils technologiques dans les projets de management des connaissances. Conformément aux travaux de Sveiby, nous pensons que cette approche est nécessaire mais qu’elle se limite à la question des conversions des compétences et des connaissances tacites vers la structure interne. La solution ici est souvent présente dans les entreprises : elle passe par des outils de partage d’information, des moteurs de recherche et de catégorisation, une Gestion Electronique des Documents, etc (voir notre partie 1.2.3). Selon Sveiby (2001), la clé de la réussite ne se trouve pas dans la sophistication des outils mais dans la mise en place d’un climat collaboratif et une implication du personnel dans l’utilisation des NTIC.
    • Les conversions de connaissances de la structure interne vers les compétences individuelles
Ce mode de conversion est rendu possible si les connaissances ont été formalisées en amont (la situation précédente). Les connaissances deviennent alors des informations. Ces dernières doivent être utilisables dans l’action sinon l’investissement est inutile. Il est donc nécessaire de valoriser l’information disponible dans le Système d’Information en prouvant son influence sur les compétences des employés. Des solutions comme des espaces d’apprentissage (e-learning) ou des études de cas permettent d’améliorer l’interface homme-machine et d’articuler l’information disponible.
    •  Les conversions de connaissances au sein de la structure externe
Il s’agit ici de comprendre comment les clients utilisent le produit et ce qu’ils en pensent. Les informations récupérées auprès des fournisseurs, des partenaires et de ces clients peuvent se réaliser grâce à des enquêtes de satisfaction ou des présentations de produits. La réputation de l’entreprise est à nouveau développée par ce type d’initiative. Certains clients peuvent contribuer à enrichir l’image, à offrir des références prestigieuses et à proposer de nouvelles missions.
    • Les conversions de connaissances au de la structure externe à la structure interne.
L’entreprise peut également convertir les connaissances de ses partenaires et de ses fournisseurs. La question est de savoir si les entreprises apprennent des alliances stratégiques et créent des connaissances à partir de celles-ci. Il peut également s’agir de la mise en place d’un système de relation fournisseurs, de relation clients et de partenariats temporaires pour développer certains types de produits. Certains clients contribuent à la composante interne en proposant des projets comportant à la fois des enjeux et des difficultés et un élément pédagogique majeur offrant l’occasion d’élaborer de nouvelles méthodes. L’Intelligence Economique peut également jouer un rôle important dans l’identification de menaces ou d’opportunités sur le marché.
    • Les conversions de connaissances de la structure interne à la structure externe
L’organisation peut également augmenter la connaissance et la compétence de ses partenaires. Une relation gagnant-gagnant est alors mise en place. Les services personnalisés apportés au client, les extranets, les services e- business ou encore les help-desks permettent d’améliorer cette relation.
    • Les conversions de connaissances au sein de la structure interne 
La structure interne est le cœur de l’organisation. Elle doit donc favoriser l’intégration et les conversions de connaissances en son sein. Le management des connaissances est alors perçu comme le processus majeur pour favoriser ces flux. Ces problématiques sont à nouveau dominées par les solutions technologiques qui permettent d’identifier et de rationaliser le capital informationnel de l’entreprise : les données et les informations structurées et non structurées. Les bases de données et les systèmes d’information, voire les ERP, sont censées le permettre.
    • Maximiser la création de valeur
Les différents modes de conversion que nous venons d’étudier existent de manière non coordonnées dans la plupart des entreprises. Une stratégie de management des connaissances est donc le mode opératoire pour coordonner ces différents modes. Il s’agit alors d’obtenir le soutien de la Direction et de dynamiser les processus d’apprentissage en remettant en cause certaines routines organisationnelles. Par exemple, les lourds investissements consentis dans les « outils de management des connaissances » obtiennent des taux d’utilisation très faibles en raison de l’absence d’un climat collaboratif et de l’absence d’une culture de partage de l’information. La création de valeur est la résultat des différentes interactions résumées dans le tableau ci-dessous :

Lieu de conversion des connaissances
Solutions pour augmenter les flux de transferts des connaissances
1. Entre les individus
Développer la confiance
2. Des individus à la structure externe
Eduquer les clients
3. De la structure externe vers les individus
Apprendre des clients
4. Des compétences individuelles à la structure interne
Mise en place d’outils et de logiciels KM
5. De la structure interne aux compétences individuelles
Mettre en pratique la connaissance par des cas, des simulations (e-learning)
6. Au sein de la structure externe
Augmenter la réputation de l’entreprise et connaître l’opinion des parties prenantes
7. De la structure externe à la structure interne
Nouer des alliances stratégiques et mettre en place des systèmes de relation clients ou fournisseurs
8. De la structure interne à la structure externe
Ouvrir sa connaissance aux clients et améliorer le service rendu
9. Au sein de la structure interne
Optimiser les bases de données et l’intégration des Systèmes d’Information

Pour obtenir une image globale de ces interactions, Sveiby propose de mettre en place de nombreux indicateurs répartis entre les trois structures de la firme processeur de connaissances. Ces indicateurs doivent refléter :
    • la croissance ou le renouvellement de la structure
    • l’efficience de la structure
    • la stabilité de la structure

Indicateurs pour valoriser les modes de conversion des connaissances
Structure interne
Structure externe
Compétences
Indicateurs de croissance ou renouvellement
Indicateurs de croissance ou renouvellement
Indicateurs de croissance ou renouvellement
Indicateurs d’efficience
Indicateurs d’efficience
Indicateurs d’efficience
Indicateurs de stabilité
Indicateurs de stabilité
Indicateurs de stabilité

Karl-Erik Sveiby a expérimenté sa démarche dans trois entreprises en pointe dans ce domaine : WM-Data (reporting intégré au rapport annuel depuis 1989), PLS- Consult (intégré depuis 1993) et Celemi (intégré depuis 1995 dans un audit du savoir). Il y a défini de nombreux indicateurs pour obtenir une vision de la création de valeur générée par la connaissance présente dans ces entreprises. Dans le tableau ci-dessous nous avons réuni les indicateurs proposés par l’auteur.

Indicateurs pour valoriser les modes de conversion des connaissances
Structure interne
Structure externe
Compétences
- rentabilité par client
- croissance organique (interne, par développement de produits)
- investissement dans la composante interne (en % du CA)
- investissement dans les systèmes de traitement de l’information (en % du CA)
- contribution des clients à la composante interne.
- années d’exercice de la profession dans l’entreprise (expertise)
- niveau de formation
- investissement en formation (en % du CA, nombre de jours par professionnel)
- évaluation des experts (Entretiens d’évaluation…)
- rotation du personnel (niveau de compétence des experts divisé par celui de ceux qui l’ont quittée)
- apport des clients à la compétence (identification des projets clients formateurs)
- indice de satisfaction des clients
- indice de gain ou de perte de contrats
- ventes par client.
- proportion représentée par le personnel administratif
- chiffre d’affaires par membre du personnel administratif
- mesure des valeurs et de l’attitude (enquêtes internes)
- proportion d’experts dans l’entreprise (nombre d’experts divisé par le nombre total d’employés)
- effet de levier (importance du rôle des experts dans la capacité de l’entreprise à générer   du CA)
- Valeur ajoutée par expert
- proportion de clients « grands comptes » (les cinq plus importants)
- pyramide des âges de la clientèle (longévité des clients)
- ratio des clients fidélisés
- fréquence des commandes successives
- âge de l’entreprise
- rotation du personnel administratif
- rotation de nouvelles recrues
- âge moyen
- ancienneté
- situation salariale relative
- turnover des experts

Le modèle de Karl Erik Sveiby nous a permis d’appréhender, dans sa globalité, les différents modes de conversion de l’information et des connaissances. Nous avons choisi ce modèle car il est l’un des rares à réfléchir à partir d’une image synthétique de l’entreprise et de ses interactions. Sa principale limite réside dans la mise en place effective de ce type de représentation et dans le choix hautement contextuel des indicateurs permettant de valoriser les structures. Par ailleurs, les métriques proposées ci-dessus pour valoriser les connaissances dans l’entreprise sont uniquement axés sur sa dimension explicite. Néanmoins, son modèle représente une première approche de la valorisation du management des connaissances, ce qui nous servira dans notre deuxième partie.