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2. LE MANAGEMENT DES CONNAISSANCES DANS LES ORGANISATIONS
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2.1 Les connaissances dans les organisations
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2.1.1 Management et Connaissances
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Le management est l’ensemble des techniques d’organisation
et de gestion
d’une entreprise. C’est pour cette raison que nous désignons la gestion des
connaissances de manière plus large à travers le terme de Knowledge Management.
Ce dernier recoupe non seulement un mode d’organisation mais également des
méthodes de gestion.
Management
= Gestion + Organisation
Knowledge
Management =
Gestion des connaissances + Organisation des
connaissances
Le management met en oeuvre des outils (plans, politiques,
organigrammes,
budgets, logiciels...) et des méthodes d’animation, d’information et de contrôle
permettant de piloter le fonctionnement de l’entreprise et d’assurer son adaptation
aux évolutions de son environnement. L’entreprise est donc perçue comme une
institution sociale tout autant qu’économique.
Le
mot management a été admis au Dictionnaire de l’Académie française, avec sa
prononciation française. Son origine lointaine est le substantif « manager »
(celui qui
administre et gère un bien) avec la même racine que le mot italien maneggiare
(manœuvrer, manier) et le vieux français manège (faire tourner) (Boyer et Equilbey,
1999).
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Si lon veut avoir une définition large de la « connaissance »,
on obtient trois
grandes notions à laquelle on peut se rattacher :
Ces définitions nous montrent que la connaissance englobe
trois qualités
nécessaires à son élaboration :
Ces
distinctions représentent une première approche du terme « connaissance ».
Dans un
contexte plus spécifique, celui des organisations, Sanchez, Heene et Thomas (1996) ont
proposé la classification suivante :
Les capacités sont
des modèles ou des schémas dactions répétables dans
lutilisation dactifs pour créer, produire et/ou offrir des produits sur un marché.
La
notion dhabileté est employée pour désigner une capacité face à une situation
très spécifique.
Les ressources
sont des actifs tangibles et intangibles, disponibles et utiles, que la
firme mobilise pour détecter ou répondre aux opportunités du marché.
Les compétences
représentent lhabileté de la firme à soutenir le déploiement
coordonné des actifs dans le but de laider à atteindre ses buts. Dans ce sens,
« lhabileté à soutenir » est proche de « pouvoir faire
quelque chose ». Ce qui signifie
que la compétence est plus quune connaissance en action. Cest la capacité à
combiner des ressources cognitives. Pour Montmollin (1984), cest un ensemble
stabilisés de savoirs et de savoir-faire, de conduites types, de procédures standard,
de type de raisonnement que lon peut mettre en oeuvre sans apprentissage
nouveau.
La connaissance
ou le savoir, est un ensemble de croyances détenues par un
individu à propos dune relation de causalité entre des phénomènes. Certains
groupes de personnes au sein de la firme partagent le même ensemble de croyances
à propos de la même relation causale.
Source : Daprès Sanchez, Heene et Thomas, 1996
Nous
allons découvrir, dans cette partie, quil faut aller au-delà de cette distinction
puisque le sens donné à la connaissance dans les sciences sociales varie selon les
travaux et les disciplines.
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Les philosophes ont toujours essayé de sonder les facultés
de lhomme à
connaître son environnement et à se connaître soi-même. Nonaka et Takeuchi
(1995) nous le rappellent en préambule de leur ouvrage, The Knowledge Creating
Company, lUniversité de Berkeley a été fondée par George Berkeley, un
philosophe
irlandais qui a écrit dès 1710 « Les principes de la connaissance humaine »,
dans
lequel il défend un positivisme pur. Comme un clin dœil soulignant limportance de
celle-ci dans les sciences humaines, il nous semble nécessaire de rappeler quelle est
également source de débat depuis des siècles dans la philosophie.
Au temps des Incas, lappropriation des connaissances
se réalisait
physiquement puisquils mangeaient le cerveau des défunts pour en retirer leur
savoir. Très loin de cette approche primaire, les premiers philosophes se sont
penchés sur le statut de la connaissance. Leurs analyses reposent alors
principalement sur la séparation cartésienne du sujet et de lobjet. Comment les
Hommes peuvent-ils comprendre la réalité ? Comment peut-on en tant que sujet
acquérir des connaissances sur un objet ? Cette question a animé le débat entre
rationalisme et positivisme. Lapproche rationaliste considère la connaissance
comme un produit de la raison humaine. Au contraire lempirisme se base sur une
connaissance issue uniquement de lexpérience des sens.
Rationalisme
|
Empirisme
|
La
connaissance est obtenue par un
raisonnement déductif
|
La
connaissance ne sacquiert que par
lexpérience
|
PLATON
|
ARISTOTE
|
La
connaissance est un processus
mental a priori.
La
théorie des idées : le monde nest
que le pâle reflet du monde des idées.
Pour atteindre la perfection de ce
monde, seule la raison est possible car
les sens sont trompés.
|
La
connaissance est le produit de notre
expérience a posteriori.
Lobservation
est indispensable pour
bâtir une connaissance scientifique.
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DESCARTES
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LOCKE
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Le
discours de la méthode est le
scepticisme méthodologique : que puis-
je considérer sans aucun doute ?
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Lesprit
humain naît vierge de toute
connaissance, cest une table rase
(tabula rasa) qui va se construire par
lexpérience
|
Tableau
3
Une première synthèse a été réalisée
par le philosophe Emmanuel Kant
(1781). Ce dernier admet que les connaissances proviennent avant tout de
lexpérience mais que le phénomène de création et dacquisition de celles-ci
saccompagne dun traitement de notre raison de lexpérience vécue. Ainsi,
la
connaissance, cette faculté de juger, apparaît si et seulement si notre raison et nos
sens, notre rationalisme et notre empirisme, fonctionnent en même temps. Kant
montrera l'impossibilité d'une science à l'état pur, d'une connaissance désincarnée,
transparente à elle-même, cherchant à décrire le monde tel qu'il est. De même,
pour
lépistémologue Gaston Bachelard (1974), la connaissance nest jamais neutre ou
objective. En prenant exemple sur la constitution des connaissances scientifiques, il
considère que « la connaissance du réel est une lumière qui projette toujours
quelque
part des ombres ». Ainsi toute connaissance a besoin dêtre contextualisée.
Dans le prolongement de la critique kantienne, Michael Polanyi
(1958, 1966)
s'attachera à démontrer que toute forme de savoir suppose une participation
subjective du connaisseur et que l'objectivité pure est une illusion, y compris dans les
sciences «dures». Cest à ce philosophe (frère de léconomiste Karl
Polanyi, auteur de
La grande transformation) que nous devons la distinction fondamentale entre la
connaissance tacite et la connaissance explicite. Dans une volonté de critique des
scientifiques positivistes, ce chimiste de formation, devenu philosophe à la fin de sa
vie, considère que les connaissances verbalisables et explicites ne représentent
qu'une partie limitée du savoir humain. Ce dernier reposerait avant tout sur
l'expérience, sur la perception des sens, sur un mode d'apprentissage implicite
difficile à exprimer et qui reste le plus souvent «tacite», ou «inarticulé»
pour reprendre
le vocabulaire de Polanyi. Le savoir tacite relève ainsi d'une appréhension subjective
de la réalité qui échappe au formalisme logique des connaissances scientifiques. Au
contraire, la connaissance explicite est transférable et explicable à travers un code,
un langage scientifique et technique.
Les connaissances tacites sont donc les plus difficiles à
manager et à
valoriser. Cest notamment la dimension cognitive de cette connaissance qui dirige la
façon dont nous percevons le monde et qui est la plus difficile à articuler.
Pour
Polanyi, la connaissance tacite apporte une dimension psychologique post-
freudienne amenant le savoir conscient vers un sub- et pré-conscient mode de savoir,
expliquant ainsi que lon en sait plus que lon peut le dire. Cest lidée
de base de son
épistémologie: « we know more than we can tell ».
A
partir de ce constat, les auteurs en Knowledge Management en ont tiré une
distinction capitale qui est la base des travaux dans cette discipline : celle de la
connaissance explicite avec la connaissance tacite. Il nous semble nécessaire de
rappeler que cette distinction était avant tout épistémologique et quelle sest
construite pour répondre à la question philosophique du rapport entre le sujet et
lobjet. Ainsi, pour Polanyi, les individus (le sujet) acquièrent des connaissances par
une intégration tacite (« indwelling ») de la réalité (lobjet).
Les philosophes ont également souligné la relation
entre les connaissances et
laction à travers le courant existentialiste. Pour les auteurs comme Jean-Paul Sartre
ou Maurice Merleau-Ponty, la raison dêtre de lhomme est son intention dagir.
Selon
eux, tout homme poursuit une fin. Nos connaissances nous permettent alors de
poursuivre cette fin selon un contexte donné. Comme le rappelle le philosophe
autrichien Ludwig Wittgenstein (1958), le terme de « connaissances » renvoie à la
fois
à laction (la capacité à agir) et à la compréhension (la capacité
de comprendre) : The
grammar of the word knows is evidently closely related to that of can or is
able
to. But also closely related to that of understands. But there is also this use of
the
word to know: we say Now I know similarly Now I can do it !
and Now I
understand.
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Les
philosophes nous ont permis d’appréhender les différents niveaux
épistémologiques qui entourent la notion de connaissance. Ils nous enseignent ainsi
que si certaines connaissances peuvent être communiquées par la parole ou l’écrit,
d’autres sont impossible à transmettre par le langage. Il n’existe donc pas une
connaissance mais des connaissances qui nous permettent non seulement de
comprendre mais également d’agir. Ganascia (1996) distingue ainsi la
« connaissance » des « connaissances » :
- la
connaissanced’une chose ou d’une personne vise le rapport privilégié qu’entretient
un
sujet avec cette chose ou cette personne. Connaître quelqu’un, c’est être capable
de se
rendre présent à l’esprit sa personne, son visage, sa voix, son caractère, ses
manières d’être,
d’agir, de se comporter...Connaître une ville, c’est savoir s’y repérer
et revoir, en esprit, ses
rues, ses maisons, ses églises, ses commerçants, les usages qui y ont cours...Cela recouvre
donc la perception du monde extérieur, vision, olfaction, toucher, et sa mémorisation ; cela
recouvre aussi la perception de soi-même, de ses actes et de leur reproduction ; la
connaissance...est donc centrée sur un individu singulier qui perçoit et agit dans le monde
(Ganascia, 1996).
- les
connaissances se rapportent au contenu : elles désignent non plus une
relation personnelle d’un sujet aux objets du monde qui l’environne, mais ce qui peut
s’abstraire de cette relation, pour être retransmis à d’autres individus. Dans
cette
acceptation, les connaissances relèvent non plus des individus isolés, mais de la
communauté des individus, des échanges qu’ils nouent entre eux et de ce qui
autorise ces échanges, à savoir signes, systèmes de signes, langues et langages, au
moyen desquels la communication devient possible (Ganascia, 1996).
La
difficulté à définir la connaissance tient également au fait qu'elle ne recouvre
pas
un seul domaine d'application. Ainsi, la typologie présentée par Duizabo et Guillaume
(1996) distingue trois catégories de connaissances :
-
les
connaissances relatives au savoir: elles sont descriptives, statiques,
directement utilisables et s'acquièrent en étant informé. L'information est
donc le vecteur privilégié de ce type de connaissance.
- les connaissances
relatives au faire: elles sont dynamiques et
correspondent généralement à des méthodes ou des procédures. La
formation est donc le vecteur privilégié de ce type de connaissance.
- les connaissances
relatives au comprendre: elles résultent de
l'enrichissement des connaissances relatives au savoir et au faire obtenu à
travers des échanges d'expériences vécues par des personnes différentes,
dans des contextes plus ou moins proches. Ces connaissances ne sont pas
directement transférables. La communication est donc le vecteur privilégié
de ce type de connaissance.
Cette typologie nous permet de réduire le schémas
présenté réalisé par Prax
(1997) à trois aspects des connaissances : savoir / faire / comprendre. A partir de la
distinction « connaissance-connaissances », les auteurs dans le domaine du
management des connaissances ont appuyer leur analyse des organisations sur deux
dimensions principales :
La
dimension épistémologique
La
dimension épistémologique de la connaissance a été explorée lors de nombreuses
recherches (Nonaka, 1988 ; Nonaka et Takeuchi, 1995 ; Baumard, 1994, 1996 ;
Boisot, 1995, 1998 ; Spender, 1996, 1998 ; Sanchez et Heene, 1997; Zack, 1999).
La connaissance y est présentée sous différentes configurations dans la « vie »
des
organisations (Nonaka, 1988 ; Spender, 1994 ; Boisot, 1995 ; Baumard, 1996). Elle
peut être :
L’ensemble
de ces configurations est à l’origine d’une classification de la
connaissance selon deux dimensions épistémologiques : la connaissance tacite et la
connaissance explicite. Nous nous devons d’étudier ces deux dimensions puisque le
mode de valorisation sera différent selon la nature de la connaissance.
-
Les connaissances tacites
Les
connaissances tacites sont définies comme des savoirs intuitifs, non
verbalisables et non articulables (Polanyi, 1966). Elles sont spécifiques à un contexte
donné et liées aux actions et aux valeurs personnelles, ce qui les rendent difficile à
formaliser et à communiquer. Selon Nonaka & Takeuchi (1995), elles contiennent
deux dimensions :
Cela
signifie que la connaissance tacite, comparée à celle explicite ou même à
l’information, tend vers une réflexion plus proche de la réalité, fondée sur
l’observation. La connaissance tacite va donc déterminer le comportement de
l’individu au travail. Selon Dominique Foray (2000), une partie des savoirs demeure
tacite soit parce que l’arbitrage avantage/coût n’est pas favorable à la codification,
soit parce qu’ils ne sont pas codifiables étant donné l’état des techniques
de
codification. La connaissance tacite est ainsi un réservoir de savoir, que l’entreprise
tendra soit à articuler, soit à maintenir tel quel pour éviter l’imitation (Baumard,
1996).
-
Les connaissances explicites
Les
connaissances explicites sont transmissibles par un langage formalisé et incluent
des symboles et des faits clairs (Kogut et Zander, 1992). En entreprise, elles se
situent dans les bases de données, dans les procédures standards ou dans les
manuels. Elles sont donc objectivées et souvent codifiables. D’après Cowan et Foray
(1998), la connaissance codifiée est assimilée à de l’information (cette position
fait
débat).
Les
connaissances explicites peuvent être transmise sans perte d’intégrité une fois
que les règles syntaxiques nécessaires pour la déchiffrer sont connues.
Connaissance
Tacite
|
Connaissance
Explicite
|
|
|
Subjective
|
Objective
|
Expérience
(usage de nos sens)
|
Rationalisation
(usage de notre raison)
|
Pratique
|
Théorique
|
Difficilement
codifiable
|
Codifiable
|
Tableau
4
Nonaka & Takeuchi (1995) constatent que dans les entreprises
innovatrices,
c’est la connaissance contextuelle ou tacite qui peut le mieux se transformer
rapidement ou systématiquement en processus informationnel créatif, alors que la
connaissance explicite se limite souvent à enrichir le savoir et le savoir-faire sans
création ou transformation particulière. La valeur et le volume de la connaissance
tacite semblent donc supérieurs à ceux de la connaissance explicite.
Notons
que pour Philippe Lorino (2001), les connaissances explicites n’existent pas.
Selon lui, la connaissance explicite est un signe, un code produit par l’individu « à
propos » de sa connaissance. Ce code, objet manipulable, transmissible, stockable et
mobile, ne s’identifie pas à la connaissance. Celle-ci est beaucoup plus complexe
qu’un simple code, aussi sophistiqué soit-il (Lorino, 2001).
Max Boisot (1995) analyse cette dimension épistémologique
par les termes de
« connaissance codifiée » et « non codifiée », auxquels
il associe la dimension
d’abstraction. Il se base sur les travaux de Karl Popper qui considère trois
mondes dans lequel évolue l’individu :
L’élément
qui détermine la survie des connaissances dans le Monde 3est la nature
de l’incubation dans le Monde 2. Celui-ci est caractérisé par le cerveau humain
ou par
les schémas cognitifs de l’organisation. C’est ce monde qui devient une pré-condition
critique de toutes les externalisations.
Connaissance
|
Non
codifiée
|
Codifiée
|
Abstraite
|
Connaissance
artistique
|
Connaissance
scientifique
|
Concrète
|
Connaissance
esthétique
|
Connaissance
technique
|
Typologie de Popper, in Boisot (1995)
La
codification est un processus qui donne forme aux phénomènes et aux
expériences.
La
codification effective est en partie liée à l’habileté intellectuelle et à
l’observation.
C’est elle qui va transformer une connaissance tacite en connaissance explicite et la
rendre articulée donc diffusable.
L’abstraction
est décrite comme un processus réducteur qui vise à représenter des
expériences complexes dans la mémoire. L’abstraction requiert une appréciation
des
relations de causes à effets qui étend de simples actes à des codifications.
La
codification et l’abstraction travaillent généralement en tandem pour faciliter le
processus de communication et de diffusion de l’information. Dans un sens, la
codification facilite l’abstraction en donnant aux phénomènes des frontières
et
en rendant les choses plus visibles et manipulables.
La
dimension ontologique
En partant du principe qu’une connaissance peut être
partagée entre les
membres d’une organisation, la dimension ontologique représente les différents
niveaux de la connaissance qui en découlent : l’individu ou le social (Spender,
1996). La notion du social est parfois divisée en sous niveaux : le groupe,
l’organisation et les relations entre les organisations(Nonaka et
Takeuchi,1995). A cette hiérarchie, il convient d’ajouter la notion de « Communautés
de Pratiques » (ou CoP) développée par Etienne Wenger (1999). Le principal
problème
étudié dans le dimension ontologique est donc le partage de connaissances réalisées
entre les individus, les groupes et l’organisation.
-
Les connaissances individuelles
C’est
l’ensemble des croyances d’un individu, sur les relations de cause à effet entre
phénomènes (Sanchez, Heene et Thomas, 1996). Les philosophes se sont intéressés
uniquement à ce type de connaissance.
-
Les connaissances collectives
Ces
connaissances sont celles des organisations ou des groupes de travail. Elles sont
stockées dans des règles, des procédures, des routines et des normes partagées.
Elle sont aussi appelées connaissances « sociales ». Bill Gates parla du QI
de
l’entreprise pour souligner le fait que les connaissances organisationnelles sont plus
que la somme des connaissances individuelles détenues par les employés. Ce sont
principalement les sciences de gestion et les théories de l’organisation qui ont mis en
lumière l’existence de ce type de connaissance.
Ainsi, dans l’entreprise chaque individu ou groupe d’individus
détient une
connaissance particulière face à une problématique donnée.
Les
connaissances ne sont donc pas qu’individuelles mais qu’elles sont également
collectives. Par exemple, les principes d’organisation, les routines, les pratiques, les
schémas de management et les expériences passées sont largement diffusés dans
l’organisation et détenus par un grand nombre d’individus.
Cette
diffusion des connaissances se déroule au sein de plusieurs formes
organisationnelles : les services fonctionnels (1), les équipes (2), les réseaux (3)
ou
encore les communautés de pratique (4).
-
Les
services fonctionnels (finances, marketing, contrôle de gestion...). Les
collaborateurs communiquent entre eux avec des codes et des langages
spécifiques à celles-ci. Ces codes ont été développés par la pratique,
au
sein du service. Par exemple, un employé du service Marketing ne peut
saisir toutes les subtilités des connaissances diffusées au sein du service
Finances car il n’a pas l’expertise suffisante. L’apprentissage repose sur
l’action et l’adaptation et le recrutement est basé sur le diplôme ou
l’expérience professionnelle.
-
Les équipes (projet). Les connaissances se diffusent temporairement au
cours d’un projet. Ce mode de partage des connaissances est rencontré
dans les structures matricielles. Les équipes étant inter-disciplinaires, les
connaissances et les compétences de chacun se combinent les unes aux
autres. C’est l’image de la fertilisation croisée. Les membres de l’équipe
agissent réciproquement à travers des routines collectives et des tâches
qu’ils doivent réaliser. La diffusion des connaissances est motivée par un
objectif commun fixé par le chef d’équipe. Par exemple, le lancement d’un
nouveau produit peut nécessiter la création d’une équipe projet dans
laquelle un financier, un marketer, un contrôleur de gestion, un designer et
un ingénieur devront travailler ensemble. Pour Nonaka & Takeuchi (1995),
ces équipes doivent être comprises entre dix et trente individus et, dans
chaque groupe, il convient de mettre en évidence deux ou trois éléments
essentiels qui possèdent par leur expérience des connaissances
stratégiques.
|
Mode
de
diffusion de
la
connaissance
|
Mode
de
communication
|
Mode
d’apprentissage
|
Mode
d’intégration au sein
du groupe
de diffusion
|
Les
services
fonctionnels
(marketing,
finance,
RH...)
|
Communication
|
Codes
et
langages
spécifiques
(« codebook »)
|
Action
et
Adaptation
|
Reconnaissance
de la
maîtrise de la
discipline
(diplôme,
expérience)
|
Les
équipes
(projet)
|
Complémentarité
|
Routines
(réalisation
d’une tâche)
|
Interactions
|
Réalisation
d’une tâche
au cours d’un
projet
|
Les
réseaux
(accords
de
coopération)
|
Coopération
|
Réunions
formelles et
informelles
|
Echange
|
La
confiance
en l’expertise
sur un
segment, une
technologie
|
-
Les
communautés de pratique. Une communauté de pratique est un
regroupement informel d’individus ayant en commun un domaine
spécialisation précis (Wenger & Snyder, 2000). Elles regroupent des
personnes engagées dans la même pratique qui communiquent
régulièrement entre eux au sujet de leurs activités. Ses membres partagent
leur expérience et leurs connaissances avec une liberté et une créativité qui
favorisent l’émergence de nouvelles façons d’aborder les problèmes
(Wenger & Snyder, 2000). Version modernisée et organisationnelle des
« corporations » du Moyen-Age, ces communautés sont généralement
basées sur les compétences de ses membres mais également sur deux
principes fondamentaux :
- l’identité.
Elle est construite par les membres de la communauté.
Elle est le ciment de la communauté, l’élément qui va assurer
l’engagement personnel de ses membres.
- l’autonomie.
La communauté de pratique échappe à la logique
contraignante : ses membres s’organisent tout seuls, décident de
leurs objectifs et désignent leurs responsables (Wenger & Snyder,
2000). Cette autonomie s’illustre à trois niveaux :
- l’évaluation
de ses membres. Chacun peut se désigner
comme membre mais l’intégration d’un membre est
acceptée en fonction de son niveau d’expertise et de son
adhésion à la culture de la communauté.
- le cloisonnement
de ses membres. Une communauté
de pratique n’échange pas les connaissances développées
en son sein en dehors de ses frontières.
- la création
d’un répertoire partagé entre ses
membres. Les communautés échangent des connaissances
de manière formelle (réunions) ou informelle (discussions). Ils
utilisent des outils de communication synchrones
(messenger, chat) et asynchrones (e-mail, forums).
Généralement, ils développent un jargon uniquement
compréhensible par ses membres
Une
communauté de pratique ne se pilote pas de l’extérieur. Le dirigeant averti se
borne à réunir les bons collaborateurs, à mettre en place des infrastructures propices
à l’épanouissement de la communauté et à évaluer son utilité en
s’appuyant sur des
critères non traditionnels (Wenger & Snyder, 2000).
Pour définir avec plus de précision la différence
entre les connaissances
individuelles et les connaissances collectives, Max Boisot (1995) utilise la dimension
d’abstraction qu’il combine avec la notion de diffusion.
Connaissance
|
Non
diffusée
|
Diffusée
|
Abstraite
|
Connaissance ésotérique
|
Connaissance
scientifique
|
Concrète
|
Connaissance
locale
|
Connaissance
de sujet
|
Max Boisot (1995)
Les
connaissances ésotériques sont des connaissances détenues par un petit
groupe d’individus (ce que nous venons d’étudier avec les Communautés de
Pratiques). Les connaissances scientifiques représentent les lois et les règles de
la
vie et de l’organisation. Les connaissances locales sont les connaissances d’un lieu
et d’un temps, à l’utilité sociale limitée. Enfin, les connaissances de
sujetreprésentent essentiellement les rumeurs sur un sujet donné.
|
|
La connaissance est donc avant tout un problème de
représentation
puisque chaque individu possède sa propre connaissance : une même information
peut être interprétée de manière totalement différente entre deux individus.
Chacun
se représente le monde à sa manière et cette représentation détermine la façon
dont
on voit les choses et on aborde les problèmes. Max Boisot (1995) cite le philosophe
anglais Andy Clark qui compare cette faculté à un filtre réglable : les « tunable
filters ».
Selon lui, il existe dans notre tête des filtres inconscients, que lon règle en fonction
de nos intérêts du moment, de notre humeur, de notre concentration, et qui nous
permettent de sélectionner linformation que lon souhaite analyser. Karl Erik Sveiby
(1994), quant à lui, désigne ce phénomène de sélection par le terme
d « infoduction » (réduction de linformation
par la connaissance). Linformation est
réduite par le cerveau pour être organisée et actionnable : Information chaos
is being
reduced to structure by an individual´s process-of-knowing (Sveiby, 1994). Ainsi,
linformation na pas de valeur en soi, cest un véhicule pour notre
connaissance. Cest la création de sens (linterprétation réalisée
par lhomme) en
vue dune action potentielle qui va générer la valeur de linformation et ce, grâce à la
connaissance des individus et de lorganisation. Or, cette capacité augmente
progressivement avec son utilisation : plus on se sert de la connaissance, plus elle est
efficace. Cest la base même de lapprentissage individuel et collectif.
Linformation est donc un véhicule pour transférer
des connaissances, mais ce
véhicule peut être inutile et inefficace lorsque lon veut partager des connaissances
tacites : Information is an attempt to make knowledge explicit, but it gets lost in the
translation. It is a very poor vehicle for transferring a capacity to act
(Sveiby,
1994).
Certaines connaissances ne peuvent donc sacquérir
que par laction et
lexpérience.
Philippe Baumard (1996) nous donne une définition complémentaire
de la
relation information-connaissance puisque la connaissance est, sur le fond, définie
comme « une substance (la matière cérébrale) qui fait lobjet dun
continuum, allant de linformation interprétée (ex : un dessin) jusquau
non représentable (ex : un pressentiment) ».
Nous aboutissons ainsi à notre propre définition
de la connaissance. Selon
nous, la connaissance désigne la faculté dun individu à analyser et comprendre
une information, selon sa capacité dapprentissage et sa mémoire, pour
lassimiler et générer une interprétation et une représentation personnelle
tacite
ou explicite avec lintention dagir dans un contexte donné.
Comme le rappelle Jean-François Ballay en préface
du livre La gestion du
savoir en pratique (2003), la connaissance active se voit dès quon observe des
personnes compétentes travailler ensemble, communiquer, tester des idées, utiliser
des outils de façon intelligente. Elle ne se voit plus si lon se contente de prendre une
photographie pour la classer dans un album ou quand on crée des séparations
mentales et physiques. Les dirigeants doivent donc apprendre à laisser le savoir se
déployer et apprivoiser une ressource difficile à matérialiser.
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Si lon remonte à la genèse des sciences économiques,
on constate que le
concept de connaissance était déjà présent dans les travaux de Ricardo et
de Smith.
Pour eux, la technologie, qui est un produit de la connaissance, constitue le
fondement des moyens de production de la firme. Ils reconnaissent le rôle central de
la connaissance à la prospérité de la firme et de la nation. Pour ces économistes
classiques, la connaissance était perçue comme exogène à lentreprise.
Un siècle plus tard, Alfred Marshall (1890) affirmait
déjà que la connaissance
était lélément moteur de lactivité de production du système économique.
Il admis
également que la division du travail prônée par les économistes classiques fragmente
la connaissance et ne permet pas de la valoriser.
En 1937, léconomiste Ronald Coase considérait
que lentreprise cherche
constamment à diminuer les coûts daccès à la connaissance des besoins du marché
et des techniques. Si elle doit supporter
normalement ses coûts de fonctionnement,
elle va tenter déconomiser sur les coûts déchange ou de transaction, en particulier
sur ceux liés à la fixation des prix. Selon la théorie économique classique, ce
sont les
marchés qui fixent les prix. On le sait aujourdhui avec les approches néo-classiques,
la réalité est bien plus complexe et coûteuse. Les entreprises doivent trouver des
clients et des partenaires sur un marché très concurrentiel, négocier les contrats et
assurer un service de qualité auprès de toutes les parties concernées. Ces
opérations génèrent des coûts, consomment du temps et sont empreintes
dincertitude, dautant que les individus peuvent être tentés de faire de la rétention
dinformation, voire de la déformer. Le constat établit par Ronald Coase (1937) nous
permet déclairer le point suivant : linformation est un enjeu de pouvoir.
L'utilisation du concept de « compétence tacite »
pour comprendre les
phénomènes économiques a été également développée par les économistes,
en
particulier par Hayek (1945), qui s'est attaché à étudier les limites d'un mode de
gestion rationnel, technocratique et centralisé. Il constate ainsi l'impossibilité de
centraliser les «informations circonstancielles», cest à dire les expériences
acquises
par une multitude d'individus : « la connaissance nexiste pas sous une forme
concentrée, mais uniquement sous forme de morceaux détenus par de nombreux
individus ». Pour Hayek, les informations les plus pertinentes échappent toujours à la
mesure et au contrôle administratif car elles sont liées à la «connaissance du temps
et de l'espace», laquelle dépend du contexte spécifique de chaque situation...une
première approche de la connaissance tacite en somme.
Pour autant les économistes néo-classiques ne cherchent
jamais à valoriser
cette connaissance quils limitent au savoir explicite lié à la détermination des
prix sur
le marché. Lapproche de la valorisation des connaissances nest donc jamais
défendue par ces auteurs. Seul Kenneth Arrow, prix Nobel déconomie en 1972, est à
lorigine dune première conception économique de la connaissance.
Pour Arrow (1962) la connaissance a trois propriétés
qui font delle un bien
économique particulier :
-
Elle
est non contrôlable. Une personne qui diffuse sa connaissance en est
dépossédé sans quelle soit rétribuée alors que dautres peuvent
lutiliser. La
connaissance est donc source dexternalités positives. En ce sens, considérer
que la connaissance est non contrôlable revient à penser quelle est non
excluable. Une connaissance, pour prendre de la valeur, doit être enrichie.
Pour être enrichie elle doit être diffusée. Cette diffusion va entraîner une
perte de contrôle de la part de lindividu. Le savoir nest donc pas le pouvoir
tant que ce savoir nest pas partagé. Cest un bien public.
- Elle est non
rivale. Une connaissance ne se détruit pas dans lusage car elle
prend de la valeur dans sa diffusion. Par conséquent, le prix dune
connaissance ne peut être fixé puisque son coût marginal est nul.
- Elle est cumulative.
Le mécanisme de création de connaissances est amplifié
par le stock cumulé de connaissances disponibles. Plus mon savoir est
important, plus je suis capable de créer de nouvelles
connaissances.
Arrow
a également mis en évidence la valeur ajoutée de lapprentissage par la
pratique (learning by doing). Elle désigne une augmentation de lefficacité individuelle
et organisationnelle par lutilisation croissante dun nouveau procédé de production.
Il
est souvent représenté par la courbe dexpérience associant le coût en travail à la
production cumulée avec le procédé en question. Cette courbe est le résultat dune
loi reliant, pour un produit donné, la diminution de son coût de revient unitaire avec
laccroissement des volumes cumulés de production. La notion dapprentissage avait
donc été défrichée par les économistes.
Grâce
aux travaux dArrow, les économistes considèrent aujourdhui la connaissance
comme un bien économique. Mais sa valorisation est pratiquement impossible
puisquils la considèrent comme un bien public qui séchange sur des quasi-marchés.
|
|
Les débats sur les différences entre la connaissance
explicite (ou
technocratique) et la connaissance implicite (celle liée à l'expérience, à
l'apprentissage) ont surtout marqué l'histoire des sciences de gestion avec le
développement du taylorisme. Pour Frederick Taylor, l'existence du savoir- faire
constitue un obstacle majeur au contrôle des tâches par la direction, qui doit
s'attacher à «rassembler cette grande masse de connaissances traditionnelles,
l'enregistrer, la classer et dans de nombreux cas, la réduire finalement en lois et
règles exprimées même par des formules mathématiques et assumées
volontairement par les directeurs scientifiques» (Taylor, 1911). Par l'organisation
scientifique du travail, Taylor entend ainsi substituer des méthodes de travail très
strictes et codifiées (sous forme écrite) à l'expérience et au métier des ouvriers,
considérés comme inacceptables car non scientifiques. Cette appropriation du travail
par les dirigeants, renforcée par le développement du pouvoir des experts et
l'avènement de méthodes de gestion technocratiques, est en grande partie
responsable de labsence de considération des qualifications tacites des employés.
Taylor a donc nié limportance de la connaissance tacite par une codification
scientifique des tâches routinières. Les catalogues de « meilleures pratiques »
(Best
Practices), très à la mode dans le monde du management des connaissances, sont
donc issus de lorganisation scientifique du travail prônée au début du siècle
par
Taylor. Plus tard, Fayol, fut le premier à construire une théorie de l'organisation pour
les dirigeants : leur travail consiste à planifier, organiser, coordonner et contrôler.
Le
système standardisé préconisé à cette époque fait aujourdhui la
fortune des
cabinets de conseil qui proposent des méthodes « one best way ».
En opposition à la méthode scientifique de Taylor,
une femme aurait pu
influencer plus grandement les bases des sciences de gestion: Mary Parker Follet.
Celle que Peter Drucker a surnommée « la prophète du management », publia,
en
1924, Creative Experience dans lequel elle souligne limportance de la dynamique de
coopération et de la créativité entre les employés. Elle a donc découvert limportance
de lapprentissage et des communautés de pratique...au début du siècle. Face à
lorganisation hiérarchique naissante de Taylor et Fayol (quelle connaissait
parfaitement) elle re-plaça lindividu et ses interactions avec son environnement au
coeur des organisations : « it is not a knowledge of his specialty which makes an
expert of service to society, but his insight into the relation of his specialty to the
whole » (Follet, 1924). Elle a reproché au taylorisme la place trop grande
des
experts , le peu dintérêt porté à la capacité
créatrice des employés et les cloisons
étanches dressées entre la conception et lexécution. Elle a aussi rappelé
la place
prépondérante de lexpérience dans la constitution de la connaissance : « experience
is the power-house where purposes and will, thought and ideals, are being
generated » (Follet, 1924). Follett a donc été une initiatrice indirecte de
lécole des
relations humaines. Selon certains professeurs de management, les vues de Follett
allaient beaucoup plus loin que celles de Mayo et des chercheurs de Hawthorne .
Un autre auteur en sciences de gestion a influencé la
recherche en
management des connaissances : le prix Nobel (1978) Herbert Simon. Simon a mis
en évidence les capacités limitées des individus dans les organisations avec le
concept de rationalité limitée (Simon & March, 1958). Contrairement à lhomo-
economicus de Walras, il considère que lagent économique ne dispose que
dinformations imparfaites et de capacités cognitives limitées et repose son analyse
sur 3 grandes hypothèses :
Linterprétation
des informations est donc limitée par les connaissances détenues par
les individus. Pour pallier ces limites, ces individus échangent des connaissances au
sein des organisations à travers des flux dinformation. Cest ce que Karl Weick a
étudié dans ses travaux sur le processus de création de sens dans les organisations.
Pour Karl Weick (1995), lorganisation nest ni
une substance, ni une addition
dactions individuelles. Il considère, dans son analyse des organisations, quil faut
avant tout les percevoir comme des flux dinteraction. Son unité danalyse nest
donc
pas lindividu mais les relations qui vont unir ces individus. Avec une perspective de
sociologue issu de lEcole de Chicago, Weick étudie le phénomène de création
de
sens (sensemaking) dans les organisations. Il constate que lenvironnement dans
lequel évolue les individus est équivoque (« déconcertant » dirait
Philippe Baumard !).
Pour réduire cette équivocité, ils utilisent leur connaissance pour donner du sens à
cet environnement qui les entoure à travers quatre étapes :
1. la variation écologique : lindividu
sattarde sur un stimulus qui attire son
attention
2. lenactment (ou activation) :
lindividu va délimiter et construire un sens à ces
stimuli et les « mettre en scène » pour créer du sens
3. la sélection : lindividu va prendre
cette signification et la considérer comme
la plus plausible
4. la mémorisation (retention) : lindividu
va stocker cette explication pour la ré-
utiliser ultérieurement en (1)
De
son analyse nous en retirons la leçon suivante : dans un contexte de firme
processeur de connaissances, il va falloir avant tout valoriser des flux et
non des stocks puisque la question de la coordination entre les acteurs
est une question centrale. Au delà de la représentation juridique et hiérarchique,
les flux dinformation et de connaissances ont donc leur logique propre.
|
|
Au début du vingtième siècle, des pionniers
tels que Taylor ou Fayol ont créé
les bases scientifiques du management. Après la seconde guerre mondiale, on a vu
foisonner les applications de la recherche opérationnelle aux problèmes de
lentreprise. Lapproche du problème est devenue de plus en plus analytique et de
plus en plus pratique. Igor Ansoff (1968) constatait alors que « la méthodologie
scientifique de la recherche opérationnelle et des théories nest pas intégralement
applicable aux problèmes stratégiques, où elle se trouve mise en défaut sur maints
points importants. » Les auteurs en management stratégique ont donc essayé
dapporter une méthodologie nouvelle pour aider les chefs dentreprise à résoudre
les
questions de stratégie. Une de ces questions est la connaissance de leur
environnement.
Pour Henry Mintzberg (1982), le manager n'est pas une personne
qui réfléchit
dans le calme et qui prend de grandes décisions de long terme en s'appuyant avant
tout sur des systèmes de gestion. Au contraire, son activité est à la fois fragmentée
et profondément immergée dans l'action et les relations interpersonnelles sont
toujours le moyen privilégié par lequel il s'informe et agit.
Michael Porter (1986) perçoit la dynamique dacquisition
des connaissances
comme un phénomène dadaptation de lentreprise aux contraintes de son milieu. Il
explique que lappropriation des connaissances est possible, soit en les achetant, soit
en les développant. De ce fait, il reconnaît que cest la matérialisation des
connaissances en techniques et en savoir-faire qui constitue la base de la
concurrence commerciale. Lentreprise doit aligner ses compétences avec celles qui
sont présentes sur le marché, notamment en investissant dans des méthodes et des
structures appropriées pour assurer lalignement stratégique qui conduit à lavantage
concurrentiel. Cette pensée a été la pensée dominante des années quatre- vingt.
Perçu
comme une adaptation de la firme à son environnement, le développement
stratégique des entreprises nest plus uniquement basé sur les perspectives
statiques dévolution du couple produit / marché, mais sur le développement lié à
lévolution de leurs ressources et compétences propres (Grant, 1991) afin de mettre
en place des stratégies émergentes (Mintzberg, 1982). Pour Chandler (1977), la
connaissance est un facteur de production endogène à lentreprise. Il considère
que
lentreprise crée les connaissances qui lui sont nécessaires tout en adaptant les
connaissances disponibles à ses besoins. Cette focalisation des entreprises sur leurs
compétences a permis le développement dune nouvelle économie au sein de
laquelle le principal facteur de production est la connaissance ou le capital intellectuel
(Quinn, 1992). More and more, the productivity of knowledge is going to become, for
a country, an industry, or a company, the determining competitiveness factor. In the
matter of knowledge, no one country, no one industry, no one company has a 'natural'
advantage or disadvantage. The only advantage that it can ensure to itself is to be
able to draw more from the knowledge available to all than others are able to do
(Drucker, 1993).
|
|
A la suite de lanalyse stratégique, les auteurs
se sont attachés non plus à
suivre lenvironnement mais à modifier les facteurs clés de succès de lentreprise.
La
pensée stratégique prévalant durant les années quatre-vingt était une stratégie
de
dominant, en ce sens qu'elle s'intéressait essentiellement, de manière implicite,
au
moyen de construire et de défendre un avantage concurrentiel par rapport à des
conditions industrielles données. La problématique s'est donc inversée, pour
comprendre plus en détail la construction ou la transformation d'un avantage
concurrentiel, et non plus seulement sa défense (Roux-Dufort & Métais, 2002). Les
théories de lapprentissage organisationnel sont apparues à ce moment-là.
Lapprentissage organisationnel peut être défini
comme un processus collectif
dacquisition de connaissances potentiellement utiles (Koenig, 1997) et de création
de connaissances (Ingham, 1994). Par lapprentissage, les acteurs, individus et
groupes, apprennent, cest-à-dire inventent et fixent de nouveaux modèles de
comportements et de jeux avec leur composantes affectives, cognitives et
relationnelles (Crozier & Friedberg, 1977). Lorganisation apprenante (Garvin, 1993)
devient alors la forme organisationnelle privilégiée. La learning organization est
une
« entreprise qui sait créer, acquérir et transférer les connaissances, et modifier
son
comportement pour refléter les nouvelles connaissances » (Garvin, 1993).
Ce phénomène a été étudié par
de nombreux auteurs en sciences de gestion
sur la base de travaux issus de la psychologie cognitive (voir tableau 1). Les théories
de lapprentissage organisationnelle recoupent une variété de sujets : létude
de la
création et de la modification de routines, lacquisition de connaissances utiles à
lorganisation, la capacité à donner du sens et à interpréter, la détection
derreurs,
etc. (Moingeon & Ramanantsoa, 1999 in Savoir pour agir).
Pour comprendre cette école de pensée, Edmondson
et Moingeon (1995) ont
réalisé une typologie des travaux concernant lapprentissage organisationnel et
distingué quatre catégories :
Le
tableau ci-dessous résume ces quatre catégories.
Unité
principale danalyse
|
|
Organisation
|
Individu
|
Visée
descriptive
|
Le
fonctionnement
organisationnel
comme étant le
produit de
lincorporation
dapprentissages
antérieurs.
>
Lindividu est influencé
par les routines
existantes accumulées
dans lorganisation (Cyert
& March, Nelson &
Winter)
>
Les routines
permettent daccélérer la
descente des courbes
dapprentissage (Wright,
Anderson)
|
Lapprentissage
et le
développement
individuel des
membres des
organisations
>
Lindividu est un insider
qui acquiert un savoir
tacite (Brown & Duguid,
1991)
>
Lapprentissage
individuel doit être
encouragé car il permet
daméliorer le
fonctionnement de
lorganisation (Stata, 1989)
|
Visée
prescriptive
|
Développer
la
capacité des
entreprises à changer
grâce à une
participation active et
intelligente de tous
>
Lindividu doit être au
coeur de lorganisation
apprenante (people first)
>
La culture dentreprise
est un instrument de gestion
(Schein, 1992)
|
Modifier
la manière
dont les individus
raisonnent pour créer
des entreprises
apprenantes.
>
Lindividu est source de
routines défensives, le
dirigeant doit faciliter un
raisonnement constructif
et non défensif (Argyris &
Schön)
>
Une entreprise devient
un système apprenant si
ses membres modifient
leurs modèles mentaux
(Senge, 1990)
|
Tableau
4 Adapté de Moingeon & Edmondson, in Savoir pour
agir (Argyris, 1995)
Au delà de cette typologie, force est de constater que
ces travaux de
recherche ont inspiré et influencé la littérature en Knowledge Management pour
la
raison suivante : il ne peut y avoir de connaissance sans processus dapprentissage.
A linverse, lapprentissage en entreprise suppose la diffusion des connaissances :
cette diffusion est alors particulièrement exposée au risque de décalage entre la
théorie évoquée (ce que le détenteur de la connaissance exprime à travers son
discours) et la théorie en usage (ce que le détenteur de la connaissance utilise
effectivement dans laction). Ce décalage a été mis en lumière par les travaux
de
Chris Argyris (1978, 1995) : dans une organisation, lindividu communique aux autres
sa « théorie épousée » (espoused theory), mais celle qui gouverne
son action est sa «
théorie en usage » (theory-in-use), qui peut être incompatible avec la théorie
professée. La théorie en usage correspond à une connaissance commune sur
laquelle les opérateurs s'appuient pour travailler. Ainsi, ce ne sont pas les
connaissances individuelles qui sont en jeu dans l'apprentissage organisationnel, mais
les connaissances collectées, mobilisées dans l'action (Argyris et Schön, 1978).
Il nest pas suffisant de promouvoir lapprentissage
organisationnel et les
organisations apprenantes si ce nest pas pour tirer avantage des connaissances
acquises (Baumard, 1995). Les entreprises portent un intérêt croissant à
lapprentissage, lequel, tout comme la connaissance, devient un impératif du
management et un des éléments essentiels de réussite (Huber, 1991). Les
apprentissages individuels doivent être transformés en un héritage collectif, afin que
tout employé qui participe aujourdhui à une tâche sappuie sur les savoirs
acquis par
ses prédécesseurs à la même fonction. Pour construire cet apprentissage
organisationnel plusieurs moyens sont utilisés. Ces moyens dépendent de la nature
des connaissances : explicites ou tacites. La nature de ces connaissances va
influencer le choix des moyens appropriés pour la mémoriser et la diffuser au sein de
lorganisation ainsi que sa valorisation.
Chris
Argyris (1978) constate quil existe au sein des entreprises 2 niveaux
dapprentissage :
Cest un processus de détection et de correction
de disfonctionnement qui
consiste à modifier les pratiques pour corriger les problèmes constatés. Cest un
apprentissage en simple boucle car il nest pas nécessaire de remettre en cause
les principes qui sous-tendent ces pratiques. On corrige laction mais on ne remet
pas en cause son système de pensée. Cette phase peut sassimiler à du simple
stockage de connaissance tacite ou à laccomodation-assimilation de Piaget
(apprentissage de lenfant).
Cest un apprentissage plus complexe qui est censé
se produire lorsquun
dysfonctionnement ne peut être réduit simplement, sans remettre en cause les
principes qui sous tendent ces pratiques. Cest plus difficile mais cest plus
intéressant. Il faut opérer un déplacement cognitif qui, par nature, est difficile à
réaliser : lindividu naime pas se remettre en cause et remettre en cause ses
principes daction.
Lapprentissage en boucle double dArgyris (1978)
sinspire de la définition de
Bateson (1972) de lapprentissage de second ordre qui est une correction des
alternatives à partir duquel les choix sont faits. Les apports de Grégory Bateson
se sont révélés très utiles aux gestionnaires pour mettre en œuvre de nouvelles
stratégies susceptibles de favoriser le changement et lapprentissage.
Selon
Bateson, l'individu a besoin d'accéder au niveau 3 d'apprentissage lorsque des
contradictions, des inadéquations, des souffrances et des blocages ont été
engendrés par des apprentissages de niveau 2. Ainsi, lorsque les apprentissages de
niveau 2 deviennent inopérants pour l'individu, sources d'enfermement, d'échecs et
d'insatisfactions, celui-ci a besoin d'apprendre à changer ses habitudes acquises
par l'apprentissage 2, c'est-à-dire à réorienter ses comportements dans des
contextes plus appropriés.
Mais
la mise en œuvre de l'apprentissage 3 est beaucoup plus délicate car elle relève
d'une ré-interprétation de la réalité et non de l'effort ou de la volonté.
En effet
lorsqu'un apprentissage de niveau 3 s'est accompli chez un individu, il s'est produit
spontanément, involontairement, intuitivement. Il passe par la reconnaissance des
principes qui facilitent les changements de cadres de référence. Il sagit de
développer à cet effet un processus réflexif (prise de conscience des modèles
mentaux et de leur formation et transformation), fruit d'un recadrage qui, en libérant
la dimension créative de l'individu, générera d'autres réponses, plus appropriées.
Les
créations artistiques, de même que les grandes découvertes scientifiques, relèvent
de l'apprentissage 3.
En opposition à lapprentissage en boucle simple
qui consiste pour lessentiel à
modifier des stratégies à lintérieur dun cadre de référence et
de normes de
performance, lapprentissage en boucle double exige justement une modification de
ce même cadre de référence et une réflexion sur la modification de ces normes.
Cette forme dapprentissage résulte le plus souvent dun conflit entre les théories
utilisées et les théories adoptées (Roux-Dufort & Métais, 2002). Apparaissent
alors
des routines défensives (Argyris & Schön, 1978) qui rendent difficile le changement
au sein de lentreprise. Selon Nelson et Winter (1982) le terme routine fait référence
à un modèle dactivité répétitif pour une organisation entière,
ainsi quà une
compétence individuelle. Les routines permettraient ainsi « idéalement »
aux individus
de réagir automatiquement. Elles seraient la conséquence dun ensemble
dapprentissages comprenant les connaissances tacites.
Ce que nous retenons de ces auteurs est que lapprentissage
représente un
coût. Apprendre, cest sinvestir, investir sur soi sans pour autant connaître
les
bénéfices de cet investissement. Contrairement aux approches économiques, ces
auteurs nous rappelle que la connaissance a un coût, un coût de codification et
dassimilation. Il ne semble essentiel de garder à lesprit cette idée : linformation
na pas de coût de marginal, en revanche son assimilation représente un
coût de codification pour la transformer en connaissance. A cela sajoute
un effort de mémorisation qui mobilise les capacités cognitives de
lindividu ou de lorganisation.
Coût cognitif de la connaissance = coût de production
+ coût de transmission
(diffusion + apprentissage ou assimilation)
Les travaux de David Kolb (1976, 1984) illustrent ce processus
selon un
modèle dapprentissage dexpériences. Son modèle de cycle dapprentissage à quatre
étapes utilise lexpérience, plus que la cognition, comme le stimulus de
lapprentissage. Durant lapprentissage, laction et la réflexion forment une partie
dun processus itératif qui mène à de nouvelles possibilités daction.
Cette pensée
créative et laction correspondante impliquent dabord un processus de
désapprentissage, puis lélaboration dune nouvelle connaissance par la création
de
concept qui intègre les nouvelles observations et perspectives dans des idées
innovantes, et enfin une utilisation de ces théories pour prendre des décisions et
résoudre des problèmes. Les expériences permettent dapprendre sous certaines
conditions. Il faut que celle-ci soit suffisamment variée et riche pour entraîner un
apprentissage. Cet apprentissage est rendu possible par la conceptualisation.
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En 1959, Edith Penrose constatait déjà que les économistes
avaient reconnu
limportance de la connaissance dans le système économique sans pour autant
traiter véritablement ce sujet :
Economists have, of course, always recognized the
dominant role that
increasing knowledge plays in economic process but have, for the most part, found
the whole subject of knowledge too slippery to handle.
Elle
a été l'un des premiers économistes à placer la création de connaissances
nouvelles et les capacités d'apprentissage au centre de la constitution et de la
croissance des firmes. En conférant à la connaissance une valeur économique, au
même titre que toute autre ressource matérielle faisant partie du capital, Edith
Penrose a ouvert la voie à une nouvelle théorie économique qui doit placer le savoir
au centre du processus de création de la richesse.
Dans The
theory of growth of the firm, Edith Penrose (1959) pose les jalons de ce
que lon appelle « la théorie des ressources ». Pour elle, la performance
est liée à
lagencement des ressources plus quà larmature ou à leur volume. Il
ny a donc pas
de causalité directe entre le volume de ressources et les performances. Nous
retiendrons de Penrose la chose suivante : ce qui est important, en terme de
valeur, cest lutilisation et lagencement que lon fait dun bien et non
la
quantité disponible de ce bien. Les entreprises qui ont des connaissances
supérieures ou qui sont capables de coordonner ou de combiner leurs ressources
dune manière différente et innovante posséderont une valeur stratégique distinctive,
source davantage concurrentiel (Penrose, 1959).
Elle
conçoit la firme, non plus comme un ensemble dactivités, mais comme un
ensemble de ressources (Wernerfelt, 1984 ; Grant, 1991 ; Amit et Schoemaker,
1993) que lorganisation mobilise en compétences pour se développer : «La
croissance dune firme est essentiellement un processus évolutionniste basé sur un
accroissement cumulatif de connaissances collectives reliées aux objectifs de la
firme.» (Penrose, 1959) Ladoption dune définition de la firme comme un portefeuille
de ressources et de compétences modifie les conditions de létablissement dun
avantage concurrentiel (Barney, 1991). Ce dernier ne réside donc plus dune position
dominante sur un marché ou un segment de marché mais sur la valorisation de
certaines ressources, sur les actifs stratégiques (Amit & Schoemaker, 1993).
La connaissance est, dès lors, considérée par
les tenants de la Knowledge
Based View of the Firm comme la ressource la plus stratégique de la firme. Lhabilité
à lacquérir, à la partager et à lappliquer constitue la capacité
la plus importante pour
soutenir un avantage concurrentiel (Cohen et Levinthal, 1990). Le management des
connaissances devient ainsi une problématique stratégique pour lentreprise. Cette
vision idiosyncrasique de la firme révèle des ressources particulièrement stratégiques
nommées compétences clées (Prahalad et Hamel 1990). Celles-ci sont formées à
la fois de connaissances, de pratiques et dattitudes et elles soutiennent le
déploiement coordonné des ressources dans une direction stratégique qui permet à
la firme datteindre ses buts (Grant, 1991). Dans un cadre où le management des
ressources est prépondérant, le rôle de la coordination interne est devenu primordial.
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Dans le prolongement de la théorie des ressources est
apparue une vision de
la firme processeur de connaissances. Le postulat de la théorie des connaissances
est le suivant: l’organisation est un ensemble de ressources dont l’essence vitale est
la connaissance. Celle-ci est une ressource « non consommable», c’est-à-dire qu’il
est
possible de l’utiliser sans l’user. Possédée par la firme, elle est une entité
dynamique
qui se modifie et se valorise lorsqu’une nouvelle information lui est intégrée. Ces
travaux sont d’autant plus intéressants pour notre sujet qu’ ils portent principalement
sur la distinction entre le capital physique et le capital immatériel. Ils ont permis de
démontrer théoriquement que la connaissance était une ressource stratégique, tout
autant que les compétences et le capital physique.
Le transfert d’intérêt des ressources tangibles
vers les ressources intangibles
a permis l’émergence de cette nouvelle théorie organisationnelle. Pour se développer,
l’organisation doit mettre en place une stratégie de la connaissance (Zack,
1999). L’avantage concurrentiel est principalement lié à une connaissance spécifique
de la firme qui apporte une valeur ajoutée aux facteurs de production. C’est la
connaissance organisationnelle et l’habilité de la firme àgénérer du savoir
qui
permettent de définir la théorie de la firme (Spender, 1996). Cette version de la
« knowledge-based view of the firm » (la firme processeur de connaissances)
modifie
l’effet « top-down » (du haut vers le bas) des anciennes théories de
management pour
qui les firmes sont des structures hiérarchiques coordonnées par les connaissances
supérieures des dirigeants ou par les actionnaires détenteurs de capitaux tangibles
(Spender,1998).
Pour Nonaka et Takeuchi (1995) l’essence même de
la stratégie devient la
création des connaissances. Les organisations sont ainsi définies non seulement
comme des systèmes sociaux complexes, mais aussi comme des systèmes
d’apprentissage. L’approche par la connaissance (Drucker, 1993 ; Sveiby, 1994;
Nonaka & Takeuchi, 1995 ; Spender, 1996) souligne que les managers doivent se
focaliser sur sa production, son acquisition, ses mouvements, ses freins et son
application (Spender, 1996, 1998). D’après Cowan et Foray (1998), avec la
codification, la connaissance est assimilée à un produit. Le management des
connaissances a donc été développé pour répondre àces problématiques :
Dès
lors, il faut admettre que les connaissances accumulées se cristallisent sous la
forme de biens économiques identifiables et séparables les uns des autres (Pierrat,
2000). Les brevets, en articulant la connaissance tacite d’une technique particulière
aux connaissances explicitement maîtrisées, contribue àla préservation du savoir
de
la firme, voire de développer un « régime d’appropriation » (Teece,
1987). Ces biens,
dérivés des connaissances, sont qualifiés d’ « actifs immatériels ».
On peut distinguer cinq types d’actifs :
Actif
immatériel
|
Description
|
Exemples
|
Les
droits et quasi-droits
|
1.Droits
de propriété
2.Droits
réglementaires
3.Droits
contractuels
4.Quasi-droits
|
1.Brevets,
droits d’auteurs,
droits de reproduction,
marques, dessins, modèles
2.Quotas,
autorisations
3.Contrats
commerciaux,
financiers, accords, droit au
bail, contrats de travail
4.Savoir-faire,
secrets de
fabrication, procédés
|
Les
actifs incorporels
matérialisables
|
Biens
développés par
l’entreprise, protégés et
cessibles
|
Programmes
informatiques
Bases
de données
Technologie
|
Les
actifs incorporels
exploitables
|
Aucune
existence juridique
mais exploitation financière
possible
|
Fichiers
clients
Liste
d’abonnés
Réseaux
de distribution
|
Les
structures
|
Structures
internes,
externes et compétences
individuelles
|
Systèmes
d’Information
Relations
clients et
fournisseurs
|
Les
valeurs incorporelles
résiduelles
|
Ecart
entre valeur
comptable et valeur réelle
|
Fonds
de commerce
Goodwill
|
Nonaka & al. (2000) introduisent également le concept « d’actifs de
connaissances » qui sont les inputs et les outputs du processus de création de
connaissances. Pour comprendre comment ces actifs sont créés, acquis et exploités,
ils distinguent quatre catégories :
- Experential knowledge assets
: la connaissance tacite partagée et construite
à l’intérieur de l’organisation ou à travers les alliances.
- Conceptual knowledge assets
: la connaissance explicite exprimée à l’aide
d’images, de symboles, de concepts (les marques, les idées de produit)
- Systemic knowledge assets
: la connaissance explicite regroupée dans des
bases de données, des systèmes d’information, des brevets ou des licences.
- Routine knowledge assets
: la connaissance tacite incorporée dans les
pratiques de l’organisation (le savoir-faire, la culture, la philosophie de partage
de l’information...)
Seule
la « connaissance explicite regroupée »(Systemic knowledge assets) est
aujourd’hui directement valorisée à travers les quasi-marchés de connaissance et
les
transferts de technologie ou de bases de données.
Les
actifs basés sur les connaissances possèdent donc différentes natures qui
permettent de les valoriser ou non. Duizabo et Guillaume (1996) met en évidence les
dimensions de ces actifs en soulignant les limites d’une évaluation purement
quantitative. Dans leur matrice SDH (Spécificité – Dimension Humaine), ils
positionnent les différents actifs en fonction de la capacité de l’entreprise à
les
négocier sur le marché (la spécificité) en fonction de la nécessité de
recourir ou non à
un support humain pour porter et immobiliser cet actif (la dimension humaine).
|
|
Faible
|
Fort
|
|
|
(Négociable
sur un marché)
|
(Inexistence
d’un marché)
|
Dimension
humaine
|
Forte
|
Compétences
& savoirs tacites
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Culture
d’entreprise, Savoirs
collectifs, Réseaux informels
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Location
exclusive
Cession
impossible
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Pas
d’évaluation
Acquisition
impossible
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Faible
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Brevets,
Marques, Licences,
Logiciels, Savoirs explicites
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Systèmes
d’Information,
Procédures,
Réseaux formels
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Evaluation,
acquisition ou
cession possible
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Acquisition
ou cession du
potentiel
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D’après
la matrice SDH de Duizabo et Guillaume (1996), on aboutit également à
quatre familles d’actifs :
-
Les
actifs non spécifiques dans lesquels la dimension humaine est faible. Il
s’agit des brevets, des marques, des licences ou encore des savoirs
explicites que l’on peut évaluer ou négocier sur un marché (Guilhon et Le
Bas les désignant par le terme de « quasi-marché de connaissances »).
- Les actifs dont
l’entreprise sont locataires : les compétences et les savoir
tacites. Elles sont de l’ordre de la prestation de service car elles
appartiennent exclusivement àl’individu. La location de ces connaissances
est assurée légalement par un contrat de travail. Les initiatives permettant
de capitaliser les connaissances développées par l’individu le temps de son
activité dans l’entreprise permettent de maintenir ces connaissances dans
la mémoire de l’organisation. Des mécanismes d’incitation sont alors à
mettre en place.
- Les actifs organisationnels
ou structurels comme les Systèmes
d’Information ou les procédures possèdent une valeur potentielle pour
l’entreprise. Ils ne sont pas explicitement valorisés par les documents
comptables de l’entreprise. En cas de rachat, par exemple, il est possible
que la valeur apparaisse dans le goodwill.
- Les actifs dans
le dernier cadran sont très difficilement valorisables par le
management des connaissances. Il s’agit de la culture d’entreprise, des
connaissances collectives et des réseaux informels. Selon les auteurs, ce
sont paradoxalement ces actifs qui constituent une part de ce qui fonde la
valeur d’une organisation. C’est souvent la disparition d’un de ces actifs qui
en prouve a posteriori la valeur. Par exemple, le départ d’un individu est peu
préjudiciable pour une entreprise. En revanche, le départ d’une équipe toute
entière qui a développé des connaissances collectives spécifiques est très
dangereux pour toute organisation. Cette situation se retrouve souvent
dans les organisations fonctionnant en mode projet. D’où la nécessité de
créer une mémoire de ces projets menés dans l’entreprise.
La matrice
SDH ne répond pas véritablement à la problématique de la gestion des
actifs immatériels détenus par l’organisation car elle ne propose pas de solutions à
envisager et repose sur une vision statique des connaissances. En revanche, elle
offre une excellente grille de lecture pour savoir quels types d’actifs immatériels sont
valorisables ou non.
Avec cette nouvelle théorie de la firme, nous considérons
donc la
connaissance comme le capital central des organisations. Mais il existe
plusieurs visions des organisations au sein de cette théorie. Von Krogh, Ross et
Slocum (1996) distinguent trois grandes épistémologies : une vision cognitiviste,
connectioniste et autopoïétique.
pséooi
Cognitiviste
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Connectioniste
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Autopoiétique
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Simon
(1989)
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Kogut
& Zander(1991)
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Maturana
& Varela (1980)
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Vision de lL’organisation
est un système ouvert qui
créé de la connaissance par
des représentations du
monde extérieur. Ainsi, plus
l’organisation va capturer
des données et la
transformer en information,
plus sa représentation de la
réalité sera fidèle. C’est
pourquoi de nombreux
travaux dans cette
épistémologie assimilent la
connaissance àl’information
et à la donnée.
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L’organisation
génère
également de la
connaissance par des
représentations du
monde extérieur mais
ce processus de
représentation est
différent des
cognitivistes.
L’entreprise est perçue
avant tout comme une
organisation processeur
d’information.
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L’organisation
est composée d’individus qui traitent
chacun à leur manière les données auxquels
l’organisation est confrontée. L’organisation est à la
fois ouverte aux données qui l’entourent mais fermée
aux informations et aux connaissances qui sont
interprétées et crées par ses membres. Le monde
extérieur est construit au sein même de l’entreprise,
donc il ne lui est pas nécessaire de se le représenter.
Les organisations
sont donc un collectif d’hommes qui
ont créé un cadre référentiel commun, basé sur une
connaissance partagée.
Certains auteurs
(McMaster) parlent même de
Knowledge Ecology pour souligner le caractère
biologique de la connaissance
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Pour Von Krogh & al. (1996), l’organisation doit être perçue selon l’approche autopoïétique,
comme un ensemble de flux de connaissances : « we suggest that the organization can
be seen as a
stream of knowledge » (Von Krogh & al., 1996).
Karl Erik Sveiby partage cette vision dynamique. Selon lui,
la valeur du « capital
connaissances » augmente en fonction du nombre de flux d’échanges au sein de cette
chaîne de
valeur : in contrast to the value chain, the intangible value in a value network grows each
time a
transfer takes place because knowledge does not physically leave the creator as a consequence of
a transfer. Thus, from an organizational viewpoint the knowledge has effectively doubled (Sveiby,
2001). Il distingue alors trois grandes structures au sein des organisations:
-
La
structure interne. La structure interne concerne tout ce qui fait qu’une organisation
existe : les brevets, les processus, les routines, les marques, les produits, les systèmes
d’information, les murs ou encore le mobilier. Ces éléments sont créés par
les individus
mais détenus par l’organisation. La culture qui y règne, les jeux de pouvoir et les
groupes
de pratiques constituent la structure interne. Les services fonctionnels (finance,
comptabilité, ressources humaines, les systèmes d’information, etc...) font également
partie de cette structure interne.
-
La
structure externe. La structure externe désigne les relations de l’entreprise avec les
parties prenantes : ses clients, ses fournisseurs, ses partenaires...Ces relations peuvent
prendre la forme de joint- venture, de partenariats ou de benchmarking. C’est la réputation
de l’entreprise qui va avant tout déterminer la qualité de la structure externe.
-
Les
compétences individuelles. Les compétences individuelles sont détenues par les
experts, les équipes de vents, les équipes marketing et les chercheurs qui sont en contact
avec les clients. Les individus peuvent utiliser leur compétences pour créer de la valeur:
en
transférant et en transformant leur connaissance dans et hors de l’entreprise.
Ces
trois structures inter-agissent les unes avec les autres. Sveiby reprend ici les vues
interactionnistes de Karl Weick (que nous avons développées précédemment): structures
should be
seen as constructed in a constant process by people interacting with each other (Weick 1995). Ces
structures sont donc construites socialement par les individus. Elles sont le lieux des échanges
et
des transformations des connaissances. La valorisation des connaissances se fera alors au cœur
de
ces trois interactions qui vont créer une valeur intangible (de la connaissance, des feedbacks,
des
idées...) et tangible (une augmentation du CA, de la fidélité des clients...).
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